Page:Denikine - La décomposition de l'armée et du pouvoir, 1922.djvu/170

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connu, capitaine au régiment des grenadiers de la garde, Dzevaltovsky ([1]), accusé avec ses 78 complices d’avoir refusé de prendre part à l’offensive et d’avoir entraîné en arrière son régiment et quelques autres unités. Le procès s’est déroulé dans les conditions suivantes : la salle d’audience était remplie d’une foule de soldats armés qui exprimaient par des cris leur sympathie pour les inculpés ; en se rendant du dépôt au siège du tribunal Dzevaltovsky passa avec son escorte au soviet local où on lui fit une ovation ; enfin, pendant que le jury délibérait, des bataillons de réserve armés vinrent se ranger, musique en tête, devant le palais de justice en chantant l’Internationale. Bien entendu, Dzevaltovsky et ses complices furent acquittés.

C’est ainsi que la justice militaire fut peu à peu supprimée.

Il serait erroné, cependant, d’attribuer la nouvelle orientation de la législation judiciaire à la seule influence des soviets. Elle était également justifiée par la manière de voir de Kérensky qui disait : « Je crois que la violence et la contrainte mécanique ne pourront rien faire dans les conditions actuelles de la guerre, où agissent des foules immenses. En trois mois de travail, le Gouvernement Provisoire s’est convaincu qu’il faut s’adresser à la raison, à la conscience, au sentiment du devoir du citoyen et que l’on peut par ce moyen obtenir les résultats voulus ([2]) ».

Dès le début de la révolution, par son décret du 12 mars, le Gouvernement Provisoire avait aboli la peine de mort. La presse libérale accueillit cet acte par une avalanche d’articles pathétiques, pleins d’idées très généreuses, mais dont les auteurs faisaient preuve d’une imprévoyance complète et d’une incompréhension totale des conditions où vivait l’armée. L’abolitionniste russe, sous-secrétaire au conseil du Gouvernement Provisoire, Nabokov, écrivait à ce propos : « Cet événement heureux est signe de vraie générosité et de sagesse perspicace… La peine de mort est abolie sans réserves et à jamais… Il n’existe probablement aucun pays où la protestation morale contre cette pire forme du meurtre ait atteint une telle intensité que chez nous… La Russie est entrée au nombre des États qui ne connaissent plus la honte et l’infamie du meurtre judiciaire ([3]) ».

Il est intéressant de noter que le Ministère de la Justice avait néanmoins présenté au Gouvernement deux projets dont l’un conservait la peine de mort pour les délits militaires les plus graves (espionnage et trahison) ; cependant l’administration de la justice militaire, à la tête de laquelle se trouvait le général Apouchkine, se prononça catégoriquement pour l’abolition complète de la peine de mort.

Survinrent, cependant, les journées de juillet. Si habituée qu’elle

  1. Actuellement ambassadeur des soviets en Chine.
  2. Discours au Grand Quartier, le 20 mai.
  3. « Rietch », le 18 mars 1917.