Page:Denikine - La décomposition de l'armée et du pouvoir, 1922.djvu/187

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et le Soviet ; et ce commissaire devait représenter les deux institutions, devant lesquelles il était responsable.

À la fin du mois de juin, le Gouvernement Provisoire créa des commissaires aux groupes d’armées. Voici comment leurs fonctions étaient définies : en s’inspirant des instructions du Ministère de la Guerre, ils devaient s’efforcer de trouver une solution uniforme à toutes les questions politiques, soulevées dans les limites de leur groupe d’armées, en collaborant, pour les mettre d’accord, avec les commissaires aux armées.

Plus tard, à la fin du mois de juillet on perfectionna le système en créant un commissaire supérieur attaché au Grand Quartier Général (Stavka). Tous les dossiers étaient soumis en suite au cabinet politique du Ministre de la Guerre.

Mais on ne promulgua aucune loi pour définir les droits et les devoirs du commissaire ou, tout au moins, s’il y eut des lois, les chefs militaires les ignorèrent toujours — ce qui, dans la suite, entretint les malentendus et les querelles.

Observer les officiers, les états-majors, savoir s’ils étaient « bien pensants » en matière politique — tel était le rôle occulte que devaient jouer les commissaires. À ce point de vue le régime démocratique alla plus loin peut-être que l’autocratie. J’ai pu m’en convaincre lors de mes visites au front Ouest et au front Sud-Ouest. J’y ai lu la correspondance télégraphique des commissariats avec Pétrograd : l’état-major me passait les dépêches déchiffrées — que messieurs les commissaires me le pardonnent ! — dès qu’elles avaient été expédiées. Pour s’acquitter de ces fonctions-là, il ne fallait aux commissaires qu’un peu de pratique en matière de police politique. Mais les devoirs formels qui leur incombaient étaient autrement compliqués. Il y fallait des vues d’homme d’état, une vision nette du but à atteindre, une connaissance psychologique approfondie des milieux militaires : soldats, officiers, chefs, une science exacte des principes qui déterminent l’existence, le rôle, la vie même de l’armée, un tact infini et, en outre, des qualités intellectuelles : du courage, une volonté ferme, de l’énergie.

Si ces conditions s’étaient réalisées, cela aurait pu atténuer, en quelque mesure, les conséquences désastreuses de cette institution nouvelle qui privait le chef militaire de toute influence sur ses troupes (ce n’était, à vrai dire, que la consécration d’un état de choses existant). Et, cependant, seule cette influence du chef pouvait fortifier dans l’esprit des soldats l’espoir, la certitude de vaincre.

Malheureusement, parmi les amis du Gouvernement et du Soviet, parmi leurs hommes de confiance, il était impossible de trouver des gens possédant les capacités nécessaires. Voici dans quels milieux se recrutaient les commissaires que j’ai connus : officiers promus pendant la guerre, médecins, avocats, publicistes, anciens déportés politiques, émigrés restés longtemps sans contact avec la Russie, membres des associations révolutionnaires, etc. Ces gens-là n’avaient —