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et sans délai, à Pétrograd, et d’adresser au gouvernement un avertissement ferme et des réclamations péremptoires. Dans l’esprit de l’auteur de cette proposition, une semblable démarche devait produire une impression considérable ; elle mettrait peut-être une barrière au torrent déchaîné des nouvelles lois militaires. Diverses objections furent avancées : le procédé était dangereux — on n’y devrait recourir qu’à la dernière extrémité — en cas d’échec, le commandement supérieur perdrait toute influence… Malgré tout, la proposition fut adoptée. Et le 4 mai s’ouvrit à Pétrograd une conférence qui réunissait tous les commandants en chef ([1]), le gouvernement provisoire et le comité exécutif du Soviet des députés ouvriers et soldats.

J’ai conservé le compte-rendu de cette conférence. J’en donne ci-après de longs extraits. Il est, en effet, du plus grand intérêt : on y trouve la peinture fidèle de l’armée, telle que la voyaient les chefs au moment même où se déroulaient les événements, sans le recul du temps qui les a déformés. On y peut étudier aussi le caractère des hommes qui se trouvaient alors au pouvoir.

Les discours des commandants en chef s’inspirèrent des mêmes sentiments qu’au Grand Quartier, mais avec moins de netteté et moins de franchise. Quant au général Broussilov, il atténua sensiblement ses accusations, parla sans émotion, salua « de tout cœur le gouvernement de coalition » et ne renouvela aucunement sa menace de démissionner.

COMPTE – RENDU


LE GÉNÉRAL ALEXÉIEV. — Il faut, à mon avis, que nous parlions franchement. Nous voulons tous le bonheur de notre libre patrie. Nos méthodes peuvent différer mais nous tendons au même but : terminer la guerre de manière que la Russie en sorte — fatiguée et affaiblie sans doute — mais non mutilée.

Seule, la victoire peut nous donner la solution que nous souhaitons. Après, nous pourrons rebâtir. Mais il faut remporter la victoire et cela n’est possible qu’autant qu’on obéit aux chefs. Autrement, nous n’aurons plus une armée, mais un troupeau.

Rester dans les tranchées, voilà qui n’avancera pas la fin de la guerre. L’adversaire retire, l’une après l’autre, ses divisions de notre front et les dirige en hâte sur le front anglo-français — et nous ne bougeons pas. Et pourtant la conjoncture est des plus favorables : nous devons vaincre — mais pour cela il faut attaquer.

Nos alliés n’ont plus confiance en nous. Cela doit inquiéter nos diplomates, cela me touche tout particulièrement, moi, le généralissime.

  1. Sauf celui du Caucase.