Page:Denikine - La décomposition de l'armée et du pouvoir, 1922.djvu/20

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abnégation, sans murmurer, soit sur l’ordre d’un haut, soit par conviction intime.

Aussi les soldats marchaient-ils vaillamment au sacrifice et à la mort.

Plus tard, lorsque cette confiance se fut effondrée, la conscience de la masse des soldats se trouva définitivement obscurcie. Les formules « sans annexions ni contributions », « le droit des peuples à disposer de leur sort », etc., étaient plus abstraites, moins faciles à comprendre que l’ancienne idée, désuète mais inconsciemment latente, l’idée de la Patrie.

Et alors, pour maintenir les soldats au front, on entendit de nouveau, sur les tribunes ombragées de drapeaux rouges, les motifs, pour la plupart connus, d’ordre matériel : la mainmise allemande, la ruine de l’économie nationale, le poids des impôts, etc. Ces motifs étaient proclamés cette fois par les « socialistes-défensistes ».

Ainsi, les trois assises sur lesquelles reposait l’armée étaient quelque peu ébranlées.

En relevant les contradictions intérieures et les vices psychologiques de l’armée russe, je suis loin de vouloir la mettre au-dessous des autres : ces vices sont, dans quelque mesure que ce soit, le propre de toutes les armées populaires, ayant presque revêtu le caractère de milices, et ils ne nous empêchaient pas de remporter des victoires et de continuer la guerre. Toutefois, il était indispensable de retracer l’aspect de l’armée pour faire comprendre ses destinées ultérieures.