Page:Denikine - La décomposition de l'armée et du pouvoir, 1922.djvu/212

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

nécessaire, ni hommes qualifiés, ni connaissances techniques, ni expériences d’aucune sorte pour réagir contre cette démoralisation. Et par-dessus tout, le Quartier général fut refoulé, rejeté en quelque sorte de côté par la course effrénée des événements ; la voix, déjà affaiblie, se tut.

Il revenait au général Markov d’entreprendre un travail considérable : entrer en relations avec la grande presse, créer un « porte-voix » au Quartier général et relever la presse militaire qui traînait une misérable existence et à laquelle différentes organisations révolutionnaires de l’armée voulaient attenter. Le général Markov se mit à l’œuvre avec ardeur, mais durant les deux mois, à peine révolus, qu’il resta à cette fonction, il n’eut pas le temps d’entreprendre quoi que ce soit de sérieux. Toute initiative, dans ce sens, de la part du Quartier général était malignement taxée par la démocratie révolutionnaire d’entreprise contre la révolution. Quant à la ville de Moscou, libéralement bourgeoise et à laquelle le général Markov demanda de lui prêter appui dans l’organisation intellectuelle et technique de l’entreprise, celle-ci répondit par des promesses pompeuses, auxquelles elle ne donna pas de suite.

Ainsi, le Quartier général n’avait aucun moyen pour mener une lutte active contre la décomposition de l’armée et la propagande toujours croissante de l’Allemagne.

* * *


Ludendorff, avec cet égoïsme national qui frisait le plus pur cynisme, disait ouvertement : « je ne doutais pas que la ruine de l’armée russe et du peuple russe ne présentassent un sérieux danger pour l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie. Notre gouvernement, en expédiant Lénine en Russie, a assumé une grande responsabilité. Ce voyage était justifié au point de vue militaire : il fallait que la Russie fût abattue. Mais notre gouvernement aurait dû prendre ses mesures pour qu’il n’en fût pas de même pour l’Allemagne… ([1]) »

Les souffrances infinies du peuple russe, mis « hors de combat », n’obtiennent pas même maintenant une parole de compassion ou de repentir de la part de ceux qui l’ont moralement perdu… Dès le début de la guerre, les Allemands avaient changé de tactique dans leur œuvre de propagande en Russie : sans pour cela briser les rapports avec certains milieux réactionnaires de la Cour, du gouvernement et de la Douma, usant de tous les moyens d’action sur ces milieux et leurs mobiles les plus intenses, — cupidité, ambition, atavisme allemand, parfois patriotisme mal compris, — les Allemands entrèrent simultanément en étroit contact avec les révolutionnaires russes dans leur pays et, plus particulièrement

  1. « Mes souvenirs de guerre »