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CHAPITRE XXIII

Les organisations d’officiers.


Dans les premiers jours d’avril 1917, les officiers du quartier général sentirent le besoin de créer une organisation sous le nom d’« Union des officiers de l’armée et de la marine ». Les promoteurs de l’Union[1] partaient du principe qu’il était essentiel de penser de la même manière pour comprendre identiquement les événements politiques et pour travailler dans le même sens, car jusqu’à ce moment « la voix des officiers pris dans leur ensemble ne s’était pas fait entendre. Nous n’avions rien dit au sujet des graves événements vécus. Le premier venu parlait pour nous et voulait décider non seulement des questions militaires, mais aussi de celles de l’existence intime et de la façon de vivre de l’armée. »

Deux objections pouvaient y être opposées : en premier lieu, il était indésirable d’introduire spontanément dans le corps des officiers les principes du self-government collectif, qui avaient été inoculés du dehors à l’armée sous forme de Soviets, de comités et de congrès et qui y avaient déjà propagé la décomposition ; en second lieu, il était à craindre qu’une organisation indépendante d’officiers réaugmentât encore davantage l’inimitié qui partageait officiers et soldats. Partant de ce double raisonnement, le généralissime et moi, nous nous montrâmes catégoriquement opposés à ce projet. Mais la réalité brisait déjà les cadres habituels et se moquait de nos raisons et de nos motifs. Un projet de loi parut qui donnait à l’armée toute liberté d’organiser des unions, des assemblées, et il n’aurait pas été équitable de priver les officiers du droit de former des organisations professionnelles, qui du moins leur auraient été un moyen de sauvegarde. De fait, les sociétés d’officiers s’étaient déjà formées dans différentes armées, et cela à Kiev, Moscou, Pétrograd et d’autres villes, dès les premiers jours de la révolution. Toutes ces organisations allaient chacune de son côté, à tâtons, et certaines d’entre elles, dans les grands centres, sous l’influence délétère des conditions de l’arrière, faisaient déjà preuve d’un penchant manifeste à la politique des Soviets.

La plupart des officiers de l’arrière vivaient d’une tout autre

  1. Les plus actifs en furent le lieutenant-colonel de l’état-major général Lebedev (dans la suite commandant de l’état-major de l’amiral Koltchak) et Pronine.