Page:Denikine - La décomposition de l'armée et du pouvoir, 1922.djvu/260

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d’inquiéter considérablement le ministre président qui, dès lors, insista obstinément pour transférer le « Comité général » de Mohilev à Moscou, son indépendance trop marquée pouvant avoir une influence nuisible sur le quartier général.

Le Comité, peu actif sous le commandement du général Broussilov, prit effectivement une part active à l’action de Kornilov. Cependant, ce n’est pas cette circonstance qui détermina le changement qui s’était opéré dans son attitude. Il est évident que le Comité général reflétait alors les sentiments du commandement dans son ensemble ainsi que de la plupart des officiers russes du front, — devenus hostiles au Gouvernement Provisoire.

Étant restés jusque-là absolument loyaux et, en majorité, parfaitement bienveillants envers le Gouvernement Provisoire, supportant, le cœur serré, toutes les expériences qu’il faisait subir, volontairement ou involontairement, le pays et l’armée vivaient du seul espoir d’une régénération possible de l’armée, désirant ardemment reprendre l’offensive et la mener jusqu’à la victoire. Mais lorsque toutes ces espérances s’écroulèrent, les officiers qu’aucun lien idéologique ne rattachait au deuxième gouvernement de coalition, qui, tout au contraire, nourrissaient contre lui une méfiance décidée, s’écartèrent du Gouvernement Provisoire, qui, de la sorte, perdit son dernier et fidèle soutien.

Ce moment est d’une importance historique extrême et permet de mieux comprendre les événements qui suivirent. Les officiers russes — pour la plupart profondément démocrates par leur origine, leurs opinions et les conditions de leur vie, repoussés avec une grossièreté et un cynisme incroyables par la démocratie révolutionnaire et qui n’avaient pas trouvé un véritable appui dans les milieux libéraux, proches du Gouvernement, se trouvèrent dans un isolement tragique. Cet isolement ainsi que la confusion où se trouvaient les officiers préparèrent un terrain favorable à toutes les influences du dehors, influences tout à fait étrangères aux traditions du corps des officiers et à son attitude politique d’autrefois, influences qui provoquèrent la scission et finalement la lutte fratricide. Car il ne pouvait y avoir de doute que toute la force, toute l’organisation des armées rouges ainsi que des armées blanches ne dépendissent uniquement de la personnalité des officiers russes des anciens cadres.

Et si après, durant les trois années de lutte, nous avons été témoins de la scission et des dissensions entre les deux forces de la Société russe dans le camp anti-bolcheviste, il en faut rechercher les causes non seulement dans le désaccord politique, mais aussi dans le crime de Caïn perpétré par la démocratie révolutionnaire contre les officiers, dès les premiers jours de la révolution.

La nécessité de préparer une organisation d’officiers au cas où seraient renversés le régime actuel et le front, ce que l’on pouvait déjà clairement prévoir, paraissait évidente. Mais les organisateurs