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CHAPITRE XXVIII

Le commencement de l’offensive russe dans l’été de 1917. La débâcle.


L’offensive des armées russes qui devait se déclencher en mai avait été sans cesse différée. Tout d’abord on avait eu en vue une action générale et simultanée sur tous les fronts. Mais le moral des troupes rendait impossible un mouvement de cette envergure : on décida d’attaquer en saillies, à diverses dates. Le front Ouest, qui n’avait qu’une importance secondaire, et le front Nord, que l’on tenait uniquement pour inquiéter l’ennemi, auraient dû commencer les opérations, pour détourner des directions principales d’offensive (front Sud-Ouest) l’attention et les forces de l’adversaire — mais ils n’étaient pas prêts, au point de vue psychologique. Aussi le commandement suprême décida-t-il de renoncer à tout plan d’ensemble : il laissa à chaque front la latitude d’engager l’action sitôt qu’il se sentirait au point ; l’important était de ne pas trop tarder, pour que l’ennemi ne pût effectuer des transferts de troupes considérables.

Cette stratégie — extrêmement simplifiée par la révolution — aurait pu, malgré tout, donner d’excellents résultats et influer sur le cours de la guerre mondiale. Même si le front Est des Austro-Allemands n’avait pas été anéanti, elle rendait à notre ligne toute sa valeur de perpétuelle et formidable menace ; il s’en suivait pour les puissances centrales la nécessité d’y faire affluer des forces nombreuses, des stocks considérables d’approvisionnements et de munitions. Un foyer d’inquiétude continue était allumé de nouveau : de nouveau Hindenburg perdait toute sa liberté d’action.

Pour mettre ces conceptions en pratique, on fixa le début des opérations aux dates suivantes : le 16 juin pour le front Sud-Ouest, le 7 juillet pour le front Ouest, le 8 juillet pour le front Nord et le 9 juillet pour le front de Roumanie. Ces trois dernières dates coïncident presque exactement avec la déroute qui commençait (6-7 juillet) sur le front Sud-Ouest.

Au début de juin 1917, la démocratie révolutionnaire, en majorité, avait, je l’ai déjà dit, compris la nécessité d’attaquer l’ennemi — d’ailleurs non sans réserves très importantes. Le gouvernement provisoire avait donc à son actif, pour appuyer l’idée de l’offensive, tous les chefs militaires, tous les officiers, la démocratie libérale, le bloc « défensiste » des Soviets, les commissaires aux armées,