Page:Denikine - La décomposition de l'armée et du pouvoir, 1922.djvu/340

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présentant des organisations bolchevistes par unité devra être envoyé à ces cours. Numéro 1644. Souvorov[1].

Les institutions révolutionnaires, absorbées par leur lutte avec la contre-révolution, laissaient passer, sans songer à les réprimer, des faits exaspérants : au siège même de l’état-major du front, à Berditchev, des meetings acclamèrent les revendications les plus extrêmes des bolcheviks ; le journal local « la Pensée libre », sans la moindre équivoque, menaçait les officiers d’une « Saint-Barthélemy ».

Le front existait, c’est tout ce qu’on pouvait en dire. De temps à autre éclataient des émeutes qui s’éteignaient dans le sang : assassinats du général Hirschfeld, de Stéphanovitch, du commissaire Lindé… On prit certaines mesures préliminaires, on effectua certaines concentrations de troupes — en vue d’opérations stratégiques, mais il était impossible d’agir avant d’avoir appliqué le « programme Kornilov » et d’en avoir étudié les résultats.

Et j’attendais avec une impatience extrême.

Les institutions révolutionnaires (commissariat et comité) du front Sud-Ouest jouissaient d’une situation particulière ; elles n’avaient pas eu besoin de s’emparer de l’autorité : une partie leur en avait été concédée, bénévolement, par une série de commandants en chef : Broussilov, Goutor, Balouïev. Aussi, dès mon arrivée, elles me reçurent en ennemi. Le Comité du front Ouest donna, sur mon compte, des renseignements terribles : le Comité du front Sud-Ouest en fit son profit et mit en bonne place, dans le numéro de son journal qui suivit mon entrée en charge, un avertissement solennel aux « ennemis de la démocratie ». Comme par le passé, je n’avais jamais recours à la collaboration du commissariat. Quant au Comité, je lui fis savoir que je me mettrais en rapport avec lui, à la condition qu’il s’en tînt, strictement, à la compétence déterminée par la loi.

Le commissaire du front s’appelait Gobetchio. Je le rencontrai une fois, par hasard. Peu de jours après, il fut envoyé au Caucase et remplacé, dans ses fonctions, par Jordansky[2]. Sitôt arrivé, celui-ci rédigea un « ordre du jour aux troupes du front ». J’eus beaucoup de peine ensuite à lui faire comprendre qu’il ne peut y avoir deux commandements sur un même front. Jordansky et ses adjoints Kostitsyne et Grigoriev — un littérateur, un zoologiste et un médecin — n’étaient peut-être pas les premiers venus dans leurs spécialités, mais ils ignoraient profondément les milieux militaires. Aucun rapport immédiat entre eux et le soldat.

Le Comité du front n’était ni meilleur, ni pire que les autres. Il était « défensiste » et appuyait même les mesures de répression que Kornilov avait arrêtées en juillet. Mais, à aucun degré, ce

  1. Chef d’état-major de l’armée.
  2. Ancien directeur de la revue Le Monde contemporain. Socialiste-démocrate, il dirige aujourd’hui un journal bolcheviste à Helsingfors.