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CHAPITRE XXXII

L’action de Kornilov et sa répercussion au front du Sud-Ouest.


Le 27 août, au soir, un communiqué du Grand Quartier Général me foudroya : le général Kornilov, généralissime, était destitué.

Une dépêche, sans numéro d’ordre et signée « Kérensky », prescrivait à Kornilov de remettre, provisoirement, le poste de généralissime au général Loukomsky et de partir pour Pétrograd sans attendre l’arrivée du nouveau chef suprême. Cette prescription était tout à fait illégale ; il n’était pas obligatoire de s’y soumettre ; en effet, le généralissime n’était, en aucune manière, subordonné au ministre de la guerre, ni au président du conseil, encore moins au camarade Kérensky.

Le général Loukomsky, chef de l’état-major, répondit au ministre-président par la dépêche n° 6406 que je reproduis ci-dessous. On nous en communiqua le contenu dans la dépêche n° 6412 qui fut adressée à tous les commandants en chef. Je n’ai pas conservé cette dépêche, mais Kornilov en a précisé le sens dans une de ses dépositions : « J’ai donné l’ordre, dit-il, de porter à la connaissance des commandants de tous les fronts ma décision (celle de ne pas transmettre ses pouvoirs et d’attendre que la situation s’éclaircisse) et celle du général Loukomsky.

Voici ce que disait la dépêche de Loukomsky, n° 6406 : « Tous ceux qui sont au courant des choses militaires ont nettement compris qu’il est impossible, dans la conjoncture actuelle, de réorganiser l’armée. Tant que des groupes sociaux irresponsables font et dirigent la politique intérieure, tant qu’ils exercent sur la masse des soldats leur influence démoralisatrice, on peut affirmer que l’armée s’effondrera dans deux ou trois mois. La Russie se verra contrainte de signer une honteuse paix séparée, dont les conséquences seraient effroyables. Le gouvernement a pris des demi-mesures qui n’ont rien réformé : elles n’ont fait que prolonger l’agonie. Il a sauvé la révolution, il n’a pas sauvé la Russie. Cependant, pour sauver les conquêtes de la révolution, il est indispensable de sauver le pays et, dans ce but, on doit créer un pouvoir vraiment fort et assainir l’arrière. Le général Kornilov a formulé une série d’exigences qu’on hésite depuis trop longtemps à mettre en pratique. Dans ces circonstances, il a jugé nécessaire de mettre en œuvre, afin de rétablir l’ordre dans le pays, des moyens plus éner-