Page:Denikine - La décomposition de l'armée et du pouvoir, 1922.djvu/82

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du service des troupes, étaient édictées par le Ministère à l’insu du Grand Quartier qui en apprenait la promulgation par les journaux. D’ailleurs, la participation du G.Q.G. eût été inutile. Ainsi, lorsqu’il arriva que Goutchkov me fit par hasard prendre connaissance de deux projets de loi élaborés par la commission de Polivanov : sur les nouveaux tribunaux et sur les comités, — je les lui rendis avec beaucoup d’observations très essentielles. Mais ce fut en vain que Goutchkov défendit mon point de vue auprès des représentants soviétiques. On n’accepta que… quelques corrections de forme.

Toutes ces circonstances ébranlèrent certainement l’autorité du G.Q.G. aux yeux de l’armée et suscitèrent parmi les officiers généraux, faisant partie du commandement supérieur, d’une part la tendance de correspondre directement, par-dessus le G.Q.G., avec les organes centraux du gouvernement, plus puissants, et, d’autre part, une initiative privée exagérée dans des questions de principes d’ordre militaire et étatique. Ainsi, au mois de mai, au lieu de ne libérer qu’une certaine proportion des mobilisés de longue date, le front du Nord les libéra tous, créant ainsi des difficultés énormes à ses voisins ; le front du Sud-Ouest entreprit la formation d’unités ukrainiennes ; le commandant de la flotte de la Baltique fit enlever les galons aux officiers, etc.

Le G.Q.G. avait perdu sa force et son autorité et ne pouvait plus jouer le rôle qui lui incombait : être le centre de commandement et le centre moral à la fois. Et ceci se passa dans la période la plus critique de la guerre mondiale, en pleine décomposition de l’armée, lorsqu’il fallait non seulement une tension extraordinaire de toutes les forces nationales, mais un pouvoir exceptionnel au point de vue de son étendue et de sa puissance. Cependant, la question était claire : si Alexéiev et Dénikine n’inspiraient pas confiance et ne satisfaisaient pas aux conditions exigées du commandement suprême et de l’administration militaire, il fallait les révoquer, nommer à leur place de nouvelles personnalités et investir celles-ci de la confiance et de la plénitude du pouvoir. Ce changement fut, à la vérité, effectué à deux reprises. Mais on ne changea que les hommes, et non les principes de commandement. Car, en présence des conditions existantes et de l’impuissance du centre, personne ne possédait le pouvoir militaire : ni les chefs qui étaient connus pour leur loyauté et leur pur désintéressement au service de la patrie, tels qu’Alexéiev ; ni, plus tard, les chefs « de fer » tels que le fut Kornilov et que l’on croyait être Broussilov ; ni tous ces caméléons qui se traînaient à la remorque des réformateurs socialistes de l’armée.

Toute la hiérarchie militaire était ébranlée jusqu’en ses fondements, encore que conservant en apparence les attributs du pouvoir et l’ordre habituel des rapports : directives, qui ne pouvaient faire faire un seul pas à l’armée, ordres, qui n’étaient pas