Page:Denikine - La décomposition de l'armée et du pouvoir, 1922.djvu/90

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s’empara d’un canon et poursuivit les Autrichiens fuyant en désordre dans la direction de Loutzk.

Enthousiaste, il avait souvent des sautes d’humeur, d’un extrême à l’autre. Mais si la situation devenait vraiment désespérée, il se maîtrisait immédiatement. En octobre 1915, la 4ème division des tirailleurs effectuait la fameuse opération de Tchartoriysk, après avoir rompu le front de l’adversaire sur une étendue de 10 verstes et pénétré à plus de 20 verstes dans ses lignes. Broussilov, qui n’avait pas de réserves, ne se décidait pas à enlever les troupes d’un autre point pour utiliser cette rupture du front ennemi. Le temps passait. Les Allemands lancèrent contre moi leurs réserves venant de tous les côtés. La situation devenait difficile. Markov, qui se trouvait à l’avant-garde, me téléphone :

« Situation très originale. Je combats aux quatre points cardinaux. C’est tellement difficile que j’en suis tout joyeux. »

Une fois seulement je le vis complètement abattu. C’était au printemps de 1915, sous Premyszl, lorsqu’il emmenait hors du combat les débris de ses compagnies, tout inondé du sang du commandant du 14ème régiment, son voisin, auquel un éclat d’obus avait arraché la tête.

Personne ne se ménageait. En septembre 1915, la division se battait dans la direction de Kovel. Vers la droite opérait notre cavalerie, qui avançait avec hésitation et nous troublait en nous faisant parvenir des nouvelles invraisemblables sur l’apparition de forces importantes de l’adversaire en face de son front sur la rive même du Styr où nous nous trouvions. Markov en eut assez de cette incertitude. Je reçus de lui ce rapport :

« Je suis allé avec mon ordonnance faire boire nos chevaux au Styr. Jusqu’au Styr il n’y a personne, ni notre cavalerie, ni l’ennemi. »

Après une série de combats je demandai sa promotion au grade de général. Elle me fut refusée : il était trop « jeune ». Quel vice épouvantable que la jeunesse !

Au printemps de 1916, la division se préparait fiévreusement à rompre le front ennemi à Loutzk. Serge Léonidovitch Markov ne cachait pas son désir intime :

« De deux choses l’une : ou la croix de bois, ou la croix de Saint-Georges de troisième degré. »

Cependant, après des refus réitérés de sa part, le G.Q.G. l’obligea à accepter un « avancement » : on lui fit reprendre pour la deuxième fois le poste de chef de l’état-major de la division ([1]).

Après avoir passé quelques mois au front du Caucase, où l’inaction

  1. Cette mesure d’ordre général était rendue indispensable par le manque d’officiers d’état-major, le fonctionnement normal de l’Académie ayant cessé. Avant d’obtenir le commandement d’une division, les colonels et les généraux devaient reprendre, dans des conditions spéciales, le poste de chef de l’état-major de la division.