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Page:Deraismes - Le Theatre chez soi.pdf/342

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la religion, il faut la grâce pour la pratiquer. Les efforts du génie le plus vaste n’y suppléeront pas.

HONORÉ.

Eh bien, soit, la conclusion est qu’on peut être sot et musicien. La conception musicale étant une faculté isolée, la mélodie vient ou ne vient pas, aucun travail préalable de l’esprit ne la fait éclore, tandis qu’une pensée est toujours le fruit d’un raisonnement, d’une observation précédente.

ARMAND.

La musique, mais elle est la mère de la poésie. Les anciens l’avaient reconnu ; leurs récits d’amour, de guerre, de joie, de douleur se rhythmaient sur la mélodie ; elle inspirait le chantre antique, et qui sait si un accord du tétracorde n’a pas produit un des plus beaux chants d’Homère.

HONORÉ, à part, s’asseyant.

Son enthousiasme m’effraye, mon imprudence m’a perdu ; j’ai introduit dans ma maison un cratère.

ARMAND.

Mais, sapristi, écoute-moi donc, par Dieu ! Pas-de-Loup se rattrapera une autre fois. Tiens, le moyen âge, par exemple ; t’es-tu appesanti sur le moyen âge ?

HONORÉ, se levant spontanément.

Va te promener avec ton moyen âge. (À part.) Je l’étranglerais bien ; mais patience !

ARMAND.

Donc, le moyen âge nous représente ses ménestrels, ses trouvères, munis de l’instrument qui devait leur donner la sublime influence. — Nul ne pourra décrire les impressions qui se succèdent dans l’âme du musicien. Son imagination explore des espaces inconnus ; son œil embrasse des horizons sans bornes. Par intuition, j’ai vu les déserts immenses, les sables rougis par les feux du soleil, les forêts vierges du nouveau monde et les steppes glacés du Nord, et j’ai accompli ces