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LA


GUERRE DE RUSSIE


ou


Aventures d’un Soldat de la Grande Armée




LES VIEUX SOLDATS


QUAND j’étais tout petit — il y a longtemps de cela, hélas ! — je connaissais un très grand nombre de vieux soldats de l’Empire. Aux uns il manquait un bras ou une jambe, aux autres un nez ou une oreille. Bien peu étaient au complet. Mais, chose digne de remarque, tous parlaient avec respect et enthousiasme de celui qui s’était montré si prodigue de leur sang et les avait exposés à tant de dangers, de fatigues et de privations. Lorsqu’il était question de L’autre ou du petit caporal, comme ils l’appelaient, les plus vieux, les plus brisés même, redressaient encore leur taille ; leurs yeux lançaient des éclairs et, s’ils regrettaient de ne plus être jeunes et alertes, c’était surtout parce qu’ils ne pouvaient plus combattre sous les ordres du « grand Napoléon. »

Lorsqu’ils se mettaient à raconter leurs exploits, ils en avaient pour des heures et des heures. Cela n’en finissait plus. Beaucoup de gens les traitaient de vieux radoteurs ou de menteurs. Il y a toujours de ces individus qui n’ont rien vu, rien appris, mais qui veulent toujours critiquer. Ils supprimeraient volontiers tout ce qu’ils ne connaissent pas et réduiraient ainsi la science humaine à fort peu de chose.

Pour moi, ces vaillants débris étaient plus que des hommes ordinaires. J’éprouvais pour eux une admiration respectueuse et chacune de leurs paroles se gravait dans ma mémoire. Malheureusement, le temps faisait son œuvre et je voyais chaque année s’éclaircir les rangs de ces héros ; j’en éprouvais un profond chagrin. Je me plaisais tant auprès d’eux, je prenais de si bonnes notes pour le livre que j’écrirais… tôt ou tard.