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Page:Des Érables - La guerre de Russie, aventures d'un soldat de la Grande Armée, c1896.djvu/38

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Les fantassins n’avaient plus de souliers. Ce n’était encore rien pour le moment, nous étions en plein été ; mais involontairement nous pensions à l’hiver, au rigoureux hiver de la Russie, qui viendrait probablement nous surprendre au moment où toute communication avec la France serait devenue impossible.

On avait beau nous cacher la vérité, nous savions que le chemin de la patrie se refermait derrière nous.

Barclay de Tollay avait semé dans notre armée des milliers d’écrits, dans lesquels il nous engageait à déserter, nous promettant des terres à cultiver au sud de l’empire et faisant miroiter à nos yeux la perspective d’une vie paisible, sans service militaire forcé et sans batailles.

Dans le camp français, ces belles promesses ne produisirent aucun effet.

Pour moi, quoique né et élevé en Belgique, j’étais Français d’origine et de cœur ; puis, j’avais suivi Napoléon sur tant de champs de bataille, que je n’eus pas une seule minute l’idée de l’abandonner. Beaucoup de mes compatriotes pensaient comme moi et envoyaient au diable le tentateur et ses promesses. Je ne puis cependant critiquer ceux qu’on avait arrachés de force à la vie de famille et aux paisibles travaux des champs, pour les mener à la boucherie, et qui nous plantèrent là.

Les Allemands n’imitèrent pas notre conduite ; ils retournèrent en grand nombre dans leur pays où l’on se préparait à nous tomber sur le dos. D’autres se fixèrent en Russie, où ils comptent encore aujourd’hui de nombreux descendants.