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Page:Des Érables - La guerre de Russie, aventures d'un soldat de la Grande Armée, c1896.djvu/41

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IX

SMOLENSK

TRENTE mille Russes à peine défendaient Smolensk. Le reste était massé aux environs. Leur général en chef n’avait nulle envie de nous livrer bataille ; il ménageait ses troupes, sachant bien qu’il en aurait besoin plus tard, pour nous exterminer, quand le froid et la misère feraient tomber les armes de nos mains et nous livreraient sans défense à des ennemis implacables.

Smolensk, malgré la faiblesse numérique de sa garnison, nous coûta beaucoup de monde et, quand nous fûmes maitres de la ville, notre drapeau ne flotta que sur des ruines.

Napoléon n’y fit son entrée qu’après avoir reçu des rapports attestant que, d’un bout à l’autre, elle était occupée par ses troupes et les progrès de l’incendie arrêtés… Comme partout dans ce pays de désolation il put constater que sa victoire était plus apparente que réelle ; la fumée qui s’élevait des décombres en était l’image fidèle.

C’est en voyant ces ruines, que le comte Lobau s’écria : “ Nous devrions faire ici notre premier cantonnement ! ” Ce conseil indirect déplut à l’empereur. Mais, quand il eut parcouru la ville dévastée et contemplé ces ruines au milieu desquelles gisaient des centaines de cadavres calcinés, il se fit une idée exacte de l’opiniâtreté que mettraient les Russes à défendre leur pays.

Cette tactique, toujours la même, ces ennemis qui se dérobaient au lieu d’accepter le combat, la misère et les défections qui décimaient son armée, tout cela lui donnait beaucoup à réfléchir.

Plusieurs généraux osèrent lui répéter le conseil de Lobau, et il fut sur le point de s’arrêter à cet avis. Pourquoi a-t-il changé d’idée !… En s’arrêtant à Smolensk, en y passant l’hiver, l’armée pouvait se reconstituer, ce dont elle avait grandement besoin. On pouvait peut-être encore faire venir de France des munitions, des chevaux et des troupes fraîches…

Maître de la Pologne et de la Lithuanie, l’empereur eût dû nous accorder quelques mois de répit. Au retour de la belle saison, nous pouvions nous porter en avant, marcher sur Moscou et même sur Saint-Petersbourg.