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III

DANS LA FORÊT

Cette fois-ci nous savions du moins pour qui et pourquoi nous allions nous battre.

En un clin d’œil nous étions formés en carré, le doigt sur la détente de nos fusils, suivant de l’œil les mouvements des ennemis qui arrivaient sur nous, brandissant leurs lances et poussant des cris de joie ou, pour mieux dire, des hurlements de bêtes fauves.

Je tournai la tête et cherchai du regard ma cousine et ma petite filleule. La pauvre mère, agenouillée dans la neige, serrait contre sa poitrine son enfant bien-aimée, pour la conservation de laquelle nous étions tous prêts à sacrifier notre vie, et ses yeux pleins de larmes étaient tournés vers le ciel.

Cette vue me fit oublier un instant le danger que je courais et je me disposais à adresser à la brave femme quelques paroles de consolation, lorsque le caporal, qui s’était placé à côté de moi, me dit à l’oreille :

— C’est comme si ces démons de cosaques avaient peur de nous ou comme s’ils voulaient tout simplement nous faire admirer l’agilité de leurs petits chevaux.

En effet, au lieu de nous attaquer, les cavaliers se contentaient de poursuivre quelques soldats isolés qu’ils perçaient de leurs lances quand ils parvenaient à les atteindre, ce qui, le plus souvent, n’était pas très-difficile, car la neige amoncelée dans les chemins creux empêchait les pauvres fuyards de courir bien loin.

— Nous sommes encore trop forts, dit un grenadier, et ces barbares ont peur de nos fusils. Partons.

— Je le veux, répondis-je, mais à condition que nous marchions bien ensemble, fermement décidés à former le carré à la première alerte et à nous défendre jusqu’à la mort.

Nous nous remîmes en route, prêts à repousser toute attaque.

Les cosaques, tout en continuant leur chasse à l’homme, disparurent derrière un massif de sapins.

Ils avaient jugé sans doute que nous étions trop nombreux, trop bien armés, trop peu disposés à nous laisser massacrer sans montrer les dents ! Il fallait à ces gens des victoires plus faciles et un butin qui ne leur coûtât que la peine de le ramasser. Ils dépouillaient les fugitifs non-seulement de leurs armes, mais aussi d’une grande partie de leurs vêtements, les laissant