Page:Des Essarts - Les Voyages de l’esprit, 1869.djvu/150

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populaire ; il n’y tient pas, et avec raison. Jusqu’au jour où les inégalités seront heureusement aplanies par l’éducation et l’instruction disséminées, l’élévation, la délicatesse, le sérieux, la mesure resteront des qualités accessibles au petit nombre. Que ce soit Cherbuliez, Taine ou Montégut qui la garde, il est une Corinthe de l’esprit où les majorités ne peuvent encore entrer.

En un mot, sur bien des points M. Montégut se trouve en désaccord avec les dogmes de son temps. Certains l’appelleraient un idéologue. Ce serait plutôt un progressiste, celui qui ne fait son procès au présent que pour hâter l’enfantement d’un avenir meilleur. Il appartient à un véritable écrivain de noter avec un certain émoi ce qui le choque, ce qui l’inquiète dans le train de son époque. Où la plupart ne voient que miracles et qu’apothéoses, une attention sincère signale bien des périls, au moins bien des défaillances.

Ainsi, l’un des premiers, sans nier les développe ments légitimes de la société future, M. Montégut s’est alarmé de la prépondérance croissante de l’industrie sans équilibre et sans contre-poids. Il a combattu avec force ceux qui rêvent une société à l’image d’un atelier ou d’une usine. Quel sera le résultat du triomphe exclusif de l’industrie, s’est demandé M. Montégut, si aucune idée morale ne s’y mêle et ne s’en dégage ? A cette puissance nouvelle, combien de gens sacrifieraient tout sans hésitation ; les choses de l’esprit désignées au ridicule, les idées pures destituées de disciples, la probité cédant au vaniteux désir du luxe, l’art amoindri