Page:Des Essarts - Les Voyages de l’esprit, 1869.djvu/154

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« Et pourtant, s’écrie ce jeune sage, qu’est-ce que cette puissance tant redoutée ? c’est la civilisation elle-même. L’individu n’est pas une des puissances sociales, il est l’unique. »

A voir cette jalousie fervente des droits de la personne, on devine quels sont dans l’art les types favoris de M. Montégut : c’est un Hamlet, c’est un Alceste, c’est un Werther, trois fiers lutteurs de l’individualité contre le despotisme des opinions vulgaires. Nul n’a mieux parlé de ces grands isolés que M. Montégut. C’est qu’il a en lui le retentissement de leurs plaintes éternelles ; c’est qu’à leur exemple, il poursuit avec une tristesse éloquente et une ironie lyrique l’envahissement de la banalité, et ne laisse pas un moment de trêve aux Philintes de la politique, aux Polonius de l’art, à tous les modernes propagandistes de l’éternelle médiocrité ; c’est enfin qu’il semble comme eux soulevé sur les ailes de la nostalgie vers de lointaines contrées où l’âme humaine s’élancerait librement et sans contrainte comme une plante dans les forêts inviolées !

Trop absolu dans sa personnalité pour n’être pas un poëte, Emile Montégut a dû épuiser les douloureuses délices de la nostalgie. C’est dans ces heures privilégiées de rêverie fortifiante qu’il a vu passer tous ces types de jadis par lui regrettés, le chevalier, Yhonnête homme, l’homme éclairé, et aussi ces vagues incarnations des temps nouveaux, modèles inconnus de passion et d’héroïsme qui se préparent silencieusement dans les profondeurs du mystérieux avenir. Ancien, c’était toujours le monde de la Renaissance qui se présentait