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principale de Leconte de Lisle, œuvre qui se prolongera jusqu’à nos jours avec une égale intelligence des métamorphoses religieuses de l’humanité. Mais à cette œuvre philosophique se rattache une œuvre purement descriptive. Les paysages et les visions abondent dans ces trois volumes. Leconte de Lisle s’est souvenu de son pays natal et il a de plus deviné l’Orient, comme un créole qui a devant les yeux toutes les couleurs des cieux exotiques et dans les oreilles toutes les sonorités des forêts tropicales.

Le poëte devient un peintre. Marilhat est dépassé ; Delacroix ne hérisse pas plus formidablement ses modèles du désert que Leconte de Lisle faisant poser le lion, l’éléphant ou la panthère noire. Depuis Lucrèce et Virgile, on n’a jamais mieux senti que dans Midi l’étouffement de la nature sous les larges caresses du soleil, tant le poëte a trouvé un incomparable vocabulaire qui rend indécises les limites où la peinture s’arrête, où commence la poésie !

Est-il besoin d’ajouter que Leconte de Lisle est maître absolu du rhythme, de la rime, et qu’il a créé une langue poétique ? Serait-il grand poëte sans cette excellence de la forme qui seule consacre les efforts de l’idée ? Que manque-t-il à cet artiste privilégié ? Aucun défaut ne trouble l’harmonieux ensemble de ses qualités. Le public a pu lui dénier la popularité : les lettrés lui ont assuré la vraie gloire !