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Page:Des Essarts - Les Voyages de l’esprit, 1869.djvu/250

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« De ceux que nous aimons, même à travers l’ab « sence, vient à nous une joie, mais une joie ailée et « passagère ; seule la vue, seule la présence, ont en « elles la joie vivante (1). »

Comme l’âme humaine atteinte d’une mystérieuse blessure s’est agrandie depuis Eschyle et Périclès ! Le christianisme ouvrit plus largement encore cette âme, transformée par la morale essénienne et les dogmes nouveaux. L’attente anxieuse d’une vie future qui peut être une éternité de supplices, la croyance à une rédemption douloureuse, ont jeté dans le cœur de l’homme un trouble et une angoisse qui chez les plus tristes devaient produire des accès fréquents de mélancolie. Cependant l’ardeur et l’enthousiasme de la foi, l’énergie barbare du caractère, firent équilibre à cette mélancolie envahissante. Elle existe dans la vie des peuples au moyen âge plus encore que dans leurs littératures. Nous la retrouverons, au milieu des convulsions du XVIe siècle, installée dans l’œuvre de Shakespeare et dominant de ses poëmes dramatiques les plus mémorables : Hamlet et Comme il vous plaira. La maladie morale d’Hamlet a été trop étudiée pour y insister ; mais dans ses symptômes les plus caractéristiques, irrésolution, doute, défaillance, vertige, n"est-ce pas déjà le mal de René ? Châteaubriand a pu connaître Hamlet ; à coup sûr il ne connaissait point Jacques, un des ancêtres de ses héros, je dirais presque un de ses

(1) Les lecteurs pourront remarquer dans ces quelques passages un mode de traduction opposé à l’ancien système classique. Nous croyons, avec Sainte-Beuve, qu’il faut traduire des poètes en poète.