Page:Des Essarts - Les Voyages de l’esprit, 1869.djvu/254

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

d’habits pour se couvrir et qui souvent manquent de pain ; leur pauvreté est extrême et honteuse. Quel partage ! et cela ne prouve t-il pas clairement un avenir ? »

« Il y a des misères sur terre qui saisissent le cœur. »

Néanmoins cette tristesse si profonde n’est pas encore celle que leXIXe siècle nous a donnée ; elle filtre, elle jaillit, mais elle ne ruisselle pas. Pour que la mélancolie, encore latente chez La Bruyère et chez JeanJacques, fît son explosion au dehors des cœurs, il fallait un siècle, et au bout d’un siècle une tempête. Il fallait la connivence étrange et sublime d’une génération et d’un poëte également avides d’étaler leurs souffrances inouïes aux regards clairvoyants de la postérité.

Cette génération et ce poëte se rencontrèrent au seuil du XIXe siècle.

Cet inspiré qu’une génération neuve invoqua pour entendre le récit harmonieux de ses tristesses fut un proscrit de la veille, un pauvre gentilhomme breton, François-René de Châteaubriand. Jamais génie ne fut attendu avec une impatience plus véhémente ; jamais époque ne provoqua aussi justement cette grâce sans pareille qu’on peut appeler l’avénement d’un poëte. En l’espace de dix ans les âmes avaient subi d’étranges secousses : elles sortaient du XVIIIe siècle renouvelées.

Il y a des générations vouées au noir, c’est-à-dire au regret, au doute, à l’anxiété. L’âme humaine a ses maladies. Mais aussi quoi de plus poétique que ces