Page:Des Essarts - Les Voyages de l’esprit, 1869.djvu/88

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mémoire en éveil, quand le maître engageait avec lui une de ces conversations capricieuses et suggestives où la parole de Gœthe ne saurait être comparée qu’au vol d’un papillon qui, se posant à peine sur chaque fleur, absorberait successivement toutes leurs âmes parfumées. Quelle rapidité d’aperçus et quelle insistance dans ces aperçus lumineux ! Gœthe effleure un sujet, et après lui tout semble dit et trouvé sur ce sujet, traité à fond avec une négligence apparente. Qu’il passe de l’antiquité aux temps modernes, qu’il se transporte de la villa de Mécène à la cour du grand roi, il prononce toujours en dernier ressort. Son esthétique se formule en principes incontestables ; ses jugements ont été ratifiés par la Raison et l’Expérience universelles, jugements d’un grand poëte qui nous parle de ses rivaux comme il parlerait de ses devanciers, avec le même désintéressement, fidèle à l’équité et à la justice, comme aux rhythmes harmonieux qui peuvent régir l’intelligence. Jamais la passion ne trouble cette inaltérable dignité qui ne se permet ni le sarcasme, ni l’emportement, ni l’amertune. Sans perdre terre, Gœthe plane dans un calme et dans une modération surhumains. Ah ! ce n’est pas un homme de nos jours, ce n’est pas un de nos grands modernes dont la passion souveraine fait à la fois la faiblesse et la grandeur. En écoutant Gœthe, nous serions tentés de croire qu’un ancien est là devant nous, Socrate, comme nous le disions tout à l’heure, ou bien l’un des interlocuteurs de ces dialogues platoniciens dont Cicéron retrouve le secret, ou Cicéron lui-même ; de toute façon, non pas un