Page:Des Essarts - Les Voyages de l’esprit, 1869.djvu/136

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dont la vocation romanesque échoue sur une affiche de vaudeville, celui qui s’est fait bureaucrate, tabellion ou critique ennemi des poètes. Pétrus Borel n’a aucune de ces défaillances ou de ces déchéances à se reprocher ; il a vécu en artiste et il est mort sans avoir abdiqué ou renié sa conviction. Il fut jusqu’au bout l’intrépide navigateur de la moderne Argos. Qu’importe s’il n’a pas abordé dans une Colchide réservée à deplus dignes que lui ? La beauté, la hardiesse et la persévérance de son ambition doivent suffire pour protéger contre l’oubli, sinon la renommée qui n’existe pas, du moins son nom, qui mérite de ne point s’engloutir.

Voilà ce qu’a compris et ce qu’a rêvé Jules Claretie, en s’attachant avec une sorte de piété littéraire à la mémoire du pauvre lutteur laissé dans l’ombre. Le jeune écrivain — un de ceux qui comptent dans la réserve de l’avenir — a su apporter à cette étude rétrospective les dons opposés de son talent, une sensibilité mêlée d’ironie douce, la sagacité qui discerne et l’enthousiasme qui respecte !

C’est avec cet heureux mélange tout moderne de qualités qui se contrôlent et se surveillent que Jules Claretie a pu, à distance, apprécier dans Pétrus, avec une sympathie équitable, l’œuvre qui a sa valeur et l’homme qui vaut beaucoup plus que l’œuvre. Par occasion, tout ce mouvement de 1832, où le romantique se croisait de politique, est sainement et finement étudié. Tout ce qu’il y avait d’audace et de grandeur à cette époque n’échappe pas, croyez-le bien, au narrateur