Page:Des Essarts - Les Voyages de l’esprit, 1869.djvu/41

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limpidité. Il l’a saisie comme une fièvre, il l’a enveloppée comme un brasier. « Dès que je le vis, je me sentis hors de moi. Je ne sais comment je revins à la maison ; mais un mal aigu me dévora, et je restai couchée dix jours et dix nuits. » Consumée, elle a fait appeler ce jeune maître de son cœur. « Dès que je l’aperçus, je devins plus glacée que la neige, et la sueur tomba de mon front comme la rosée après la pluie. Je ne pouvais ni parler, ni même murmurer comme font les petits enfants qui rêvent de leur mère. Mon sang était tout figé, et mon beau corps était de plâtre. » Rarement la passion se trahit ainsi chez les modernes. Nous osons moins parler du corps, encore moins du sang. Nous avons subtilisé et vaporisé tout cela ; nous l’aurions réduit à néant sans les retours imprévus et la logique impérieuse qui font reparaître dans la poésie ce paganisme de détails. Que le raffinement des mœurs et des sentiments ait passé dans l’expression lyrique ou dramatique de l’amour, nous ne nous plaignons pas d’une nécessité ; mais en présence d’un idéalisme excessif, qui, dans les descriptions, refuserait au corps sa part légitime, nous en reviendrons toujours aux Grecs et surtout à Théocrite. La violence de la douleur morale perd-elle à cette peinture de la tristesse physique ? Ces deux accablements ne sont-ils pas encore inséparables ? et les souffrances extérieures de Phèdre et de Simœtha ont elles disparu du monde moderne ? Non, la peinture de Théocrite est toujours vraie de profondes passions qui sous des dehors menteurs parviennent à se faire illusion sur leurs ravages. Aphrodite