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Page:Des Monts - Les Legendes des Pyrenees 3e, 1876.djvu/132

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cet abandon en quelque sorte heureux de la jeune amante se sacrifiant pour celui qu’elle adore ; il avait su en saisir l’ensemble et la beauté ; mais son modèle ne lui retraçait rien de la sublimité de cette transition de la vie à la mort. Et le poëte redevenait homme ; son enthousiasme diminuait, ses pinceaux faiblissaient sur la toile et la frottaient nonchalamment. Plus il avançait, plus les difficultés se montraient, se dressaient, hideuses, inattendues, comme ces dragons fantastiques qui gardaient les palais de diamant. Le doute, cet affreux vautour du peintre, était venu s’asseoir à ses côtés et le crucifiait de ses horribles tortures. Encore quelques minutes, et le sacrifice de pudeur de la jeune fille fût devenu inutile, et le tableau fût resté inachevé ; car l’artiste n’eût plus été peintre.

Lélia le vit bien ; elle pâlit, car elle sentait qu’il fallait, pour sauver son amant, accomplir son entier sacrifice… Mais comme elle aimait de cet amour aveugle qui ne connaît pas de dévouement au-dessus de lui, elle regarda froidement le poignard qu’elle tenait à la main pour poser, sourit, — et la lame du poignard ne s’émoussa pas sur cette peau si douce et si pure.

Lucien jeta un grand cri en la voyant tomber. Il s’élança pour lui porter secours, mais il était trop tard. La belle jeune fille n’était plus qu’un cadavre !