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Page:Des Murs - Oiseaux de proies nocturnes ou strigidés, 1864.djvu/3

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les trois règnes

du cercle arctique deviennent complétement blanches, comme le Gerfaut des mêmes contrées.

Les Strigidés se trouvent répandus dans toutes les parties du monde, et il y a quelque chose de si mystérieux dans leurs habitudes, qu’ils ont généralement prêté partout à la superstition. Le peuple considérait autrefois le Hibou comme un oiseau de mauvais augure. C’était une ancienne coutume, en Angleterre, de lui faire la chasse la veille de Noël. De nos jours, quelques personnes croient encore que l’apparition soudaine d’un Hibou est un présage de mort pour la maison dans laquelle se trouve un malade. On commence heureusement à faire justice de ces préjugés ridicules, et l’on ne peut les expliquer que par ce qu’il y a de lugubre dans des cris nocturnes de cet oiseau et par ses mouvements silencieux, lorsque, comme un fantôme, il glisse dans l’air, et disparaît sans que l’œil ait pu le reconnaître ou le suivre. Et cependant, à l’exception de deux ou trois grandes espèces, d’ailleurs assez rares, il n’existe guère d’oiseaux plus inoffensifs, nous dirons même plus utiles que ces spectres de la gent ailée.

Ces préjugés sont répandus dans tous les pays, et ces précieux oiseaux sont généralement regardés comme malfaisants. Parmi les peuples de l’extrême Orient, les Malais désignent les oiseaux de nuit sous les noms de Hantou et de Pongo, qu’ils donnent aussi à des êtres imaginaires de mauvais augure ou à des esprits mortifères. On les appelle encore Oiseaux de la lune, parce que la superstition trouve que leurs cris ont pour but de faire paraître cet astre, puisqu’ils cessent de les faire entendre dès qu’il paraît, comme si leur silence dans ce cas dépendait de la satisfaction de leurs désirs. Les Indiens de l’Amérique du Sud les envisagent autrement, au dire de M. Morelet. Ils appellent l’oiseau de nuit Buho. Le Buho connaît tous les trésors cachés ; il peut enrichir son maître, le guérir de la maladie et lui gagner le cœur de la jeune fille qu’il aime. Une fois en possession du merveilleux oiseau, on doit l’entourer de soins très-attentifs ; car si sa mort résulte d’un mauvais procédé, ou même d’une négligence, elle est suivie de grands malheurs ; mais, pour s’en emparer dans de bonnes conditions, il faut un concours de circonstances rares.

Les Accipitres nocturnes ne prennent généralement pas la peine de se construire un nid ; car les quelques heures pendant lesquelles la plupart d’entre eux peuvent s’aventurer hors de leur refuge, le soir et le matin, sont absorbées par la chasse, et il ne leur reste pas un instant à employer à la recherche des matériaux nécessaires à la formation d’une aire pour leur progéniture. Ils déposent leurs œufs dans des trous, sur les vieux arbres, dans les ouvertures des murs, sur les tourelles et dans les ruines. Certaines espèces, qui nichent vers la fin de l’hiver, sont réduites à s’approprier quelquefois les anciens nids de Corbeaux, de Corneilles et de Pics. En éclosant, les petits sont couverts d’un duvet blanchâtre, épais et très-long. Ils mangent seuls assez promptement ; mais ils ne quittent le nid que lorsqu’ils sont en état de voler et de se procurer quelque aliment. Si l’on vient à les forcer à prendre leur essor pendant le jour, ils ne font que de courtes volées, et se jettent bien vite dans les branches les plus touffues d’un arbre, d’un taillis, ou dans quelque enfoncement de rocher, où ils attendent la nuit pour sortir. C’est le plus souvent cette situation critique qui attire autour d’eux les petits oiseaux du voisinage. Le premier de ceux-ci qui s’aperçoit de leur vol dérobé jette un cri d’alarme qui suffit pour réunir en un instant tous les autres ; et alors, à l’envi, ils accablent leur ennemi de leurs cris insultants. Surpris ainsi en plein jour, les nocturnes répondent à leurs assaillants par des attitudes très-curieuses : on les voit balancer lourdement, de droite à gauche, leur tête seule ou tout le corps à la fois, souffler horriblement, faire parfois craquer fortement leur bec, suivant que l’ardeur ou le nombre des combattants augmente, et enfler singulièrement toutes les plumes du corps, notamment des ailes, comme pour mieux réussir à les effrayer en se faisant paraître plus gros. La voix des rapaces nocturnes consiste en cris étouffés, tristes et lugubres, qu’on entend de fort loin pendant le silence de la nuit.


L’espèce la plus remarquable par sa taille est connue sous le nom de Grand-Duc ; elle est assez rare en France ; cependant on la trouve dans un assez grand nombre de localités, surtout dans l’Est et le Midi, dans le voisinage des montagnes et dans les forêts de sapins. Parfois le Grand-Duc s’éloigne assez de ses retraites favorites et se laisse surprendre par le jour de manière à ne pouvoir pas regagner son gîte habituel. Mais ces excursions lui sont le plus souvent fatales, et s’il est aperçu par de petits oiseaux, leur rassemblement et leur rumeur éveillent l’attention des chasseurs et des paysans, qui ne manquent pas l’occasion de lui faire un mauvais parti. Si, en s’aventurant au premier crépuscule, les Buses, les Corbeaux, ou l’Aigle fauve, son plus cruel ennemi, viennent à l’apercevoir, ils lui livrent bataille. Les Buses, et les Corbeaux donnent l’éveil par des cris d’alarme, ils le harcèlent et fondent tour à tour avec impétuosité jusque près de lui comme pour lui fermer la retraite ; mais le Grand-Duc résiste à ces assaillants avec tant de courage et d’opiniâtreté qu’il les force à se retirer. Ceux-ci, d’ailleurs, comprennent que c’est l’heure à laquelle ce rapace recouvre tous les avantages inhérents à son genre de vie nocturne : la vue, l’adresse et la force, et qu’il y aurait témérité de leur part à prolonger leurs assauts.

L’Aigle fauve ou royal livre aussi de terribles combats au Grand-Duc, quand il le rencontre dans les rochers ou dans les forêts. L’Aigle, qui provoque toujours, se jette avec violence sur cet adversaire. Le Grand-Duc, dont le courage et la force ne le cèdent guère à la puissance de l’Aigle, résiste vivement à ses assauts ; il sait même les parer en enflant singulièrement ses pennes alaires et en lui lançant de violents coups de serres. Ce combat, qui dure souvent plusieurs minutes, devient