Page:Des artistes, première série, 1885-1896, peintres et sculpteurs, 1922.djvu/140

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et exprimées ainsi. Il y a, dans ces sous-bois aux végétations, aux flores monstrueuses, aux figures hiératiques, aux formidables coulées de soleil, un mystère presque religieux, une abondance sacrée d'Éden. Et le dessin s'est assoupli, amplifié ; il ne dit plus que les choses essentielles, la pensée. Le rêve le conduit dans la majesté des contours, à la synthèse spirituelle, à l'expression éloquente et profonde. Désormais, M. Gauguin est maître de lui. Sa main est devenue l'esclave, l'instrument docile et fidèle de son cerveau. Il va pouvoir réaliser l'œuvre tant cherchée.

Œuvre étrangement cérébrale, passionnante, inégale encore, mais jusque dans ses inégalités poignante et superbe œuvre douloureuse, car pour la comprendre, pour en ressentir le choc, il faut avoir soi-même connu la douleur et l'ironie de la douleur, qui est le seuil du mystère. Parfois elle s'élève jusqu'à la hauteur d'un mystique acte de foi ; parfois elle s'effare et grimace dans les ténèbres affolantes du doute. Et toujours émane d’elle l'amer et violent arôme des poisons de la chair. Il y a dans cette œuvre un mélange inquiétant et savoureux de splendeur barbare, de liturgie catholique, de rêverie hindoue, d'imagerie gothique, de symbolisme obscur et subtil ; il y a des réalités âpres et des vols éperdus de poésie, par où M. Gauguin crée un art absolument personnel et tout nouveau, art