Aller au contenu

Page:Desbordes-Valmore - Contes et scènes de la vie de famille, tome 2, 1865.pdf/18

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
2
LE PETIT BÈGUE.

Pourquoi les aiguillons qui poussent à vos lèvres servent-ils souvent à piquer vos camarades, qui ont pleuré comme vous de cette première offrande faite à l’ordre social qui veut des hommes graves, des savants, des penseurs !… Une larme de votre mère vous en dira plus que moi, elle vous rappellera l’indulgence divine dont elle a enveloppé vos premiers cris, et vous en aurez pour vos petits compagnons, vous en aurez pour tout le monde. Moi, je n’ai qu’à vous raconter l’histoire du pauvre René.

René, mal vêtu, mal tourné, gauche et timide comme la misère honnête, entra, par je ne sais quelle protection, dans un grand pensionnat de Châlons.

Encore rouge et pâle de pleurs d’avoir quitté sa mère, le cœur gonflé d’une inexprimable tristesse, il regardait tout avec des yeux stupides, ne répondait rien aux questions bruyantes dont l’accablait l’école, et devenait sourd du bourdonnement de ces voix confuses. La voix, l’adieu de sa mère, retirait toute son intelligence à son cœur. Il resta immobile, le sourcil froncé, les yeux à demi fermés, au grand divertissement des habitués, qui l’isolèrent au milieu d’un rond qu’ils formèrent en se tenant par la main, tournant autour de lui avec une vélocité d’écoliers, et criant à lui briser le tympan :