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LES PLEURS.

Roulant, sans la troubler, au fond de la mémoire,
Inécoutés long-temps, long-temps vides d’effroi,
Tout à coup pleins d’accent, pleins de deuil, pleins de larmes,
Bondissant sur le cœur comme un tocsin d’alarmes !
C’est la cloche effrayée au cri sinistre et prompt,
Dont le pouls bat rapide et fiévreux dans l’espace,
Redoublant son frisson avec la mort qui passe ;
De pâleur et de crainte elle cerne mon front ;
Sous mes cheveux levés une eau froide circule :
Ah ! ne t’étonne pas. J’aime ! je suis crédule ;
Ou plutôt j’ai des yeux qui plongent sous les fleurs ;
Au fond de nos baisers je sens rouler des pleurs !

L’avenir sonne ; arrête ! Oh ! que nous marchons vite !
Qu’une heure a peu de poids sur un cœur qui palpite !
Ne peut-on lentement respirer le bonheur ?
Vivre sans éveiller le temps et le malheur ?
Embrasse-moi : plus près de ta moitié qui tremble,
Laisse passer la vie ; elle nous aime ensemble !
Quand tu m’as dit adieu, je me donne à rêver,
Et les mots qui font peur reviennent me trouver :
Ils disent que l’on meurt en sortant d’une fête,
Et je t’y vois courir, et je cache ma tête,
Et leurs sons plus aigus sifflent entre mes doigts :
« On meurt ! on meurt ! on meurt ! on se quitte une fois ! »
Puis ton nom !… Ah ! ce nom m’éveille, il me rassure,
Ton baiser presse encore mes lèvres, j’en suis sûre !