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Quand l’ingrat chante à vos genoux !
Que sert de lui donner ma vie,
S’il est heureux sans moi ?
Que deviendra l’amour dans mon âme asservie,
S’il échappe à sa loi ?
Cette loi si simple, si tendre,
Quand je l’apprenais dans ses yeux,
Ses yeux alors me la faisaient comprendre
Bien mieux qu’Ovide en ses chants amoureux !
Sans définir l’amour, notre âme le devine :
L’art n’apprend pas le sentiment…
Il est gravé pour moi, par une main divine,
Dans le regard de mon amant !
Où donc est-il ce regard plein d’ivresse ?
Il brûle encor, mais c’est d’une autre ardeur !
J’ai donné toute ma tendresse ;
Cœur partagé peut-il payer mon cœur ?…

Mais si d’une brillante et trompeuse chimère
L’ambitieux est épris pour jamais ;
Si vous rejetez ma prière,
Muses ! qu’il soit heureux, du moins, par vos bienfaits !
Heureux sans moi !… Je fuirai son exemple ;
Trop faible, en le suivant, je pourrais m’égarer ;
Livrez-lui vos trésors ! Ouvrez-lui votre temple ;
À celui de l’Amour, seule, j’irai pleurer.