Page:Desbordes-Valmore - Poésies, 1860.djvu/13

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nues de Voltaire (1733-1738). Ces deux mêmes Desbordes, Jacques et Antoine, enfants lors de la révocation de l’édit de Nantes, vivaient encore ; ils ont vécu, l’un cent vingt-quatre et l’autre cent vingt-cinq ans. Se sentant pourtant près de mourir, centenaires, millionnaires et célibataires, voilà qu’un vif regret de la patrie les reprend tout d’un coup après plus d’un siècle, et ils ont l’idée de rappeler quelque arrière-petit-neveu ou arrière-petite-nièce pour rentrer dans la religion réformée et dans l’héritage.

Ils écrivent à Douai. La grande lettre en gros caractères à la Louis XIV, et signée du grand-oncle Antoine, est déployée : il y est mis pour condition expresse que les enfants seront rendus à la religion des aïeux pour reprendre droit dans la succession immense. Ceci se passait vers 91 : l’humble famille de Douai avait vu tarir, depuis deux ou trois ans déjà, ses modiques ressources, et l’avenir se présentait de plus en plus sombre. Une assemblée solennelle de tous les membres eut lieu dans la petite maison, sous la madone.

On lit tout haut la lettre : la mère s’évanouit, le père regarde ses enfants et sort dans une horrible anxiété. Il rentre après quelques pas dans le cimetière, et l’on décide qu’on répondra non.

La jeune Marceline avait pour lors quatre ans et demi environ, et les impressions de cette grande scène domestique lui sont demeurées présentes. C’était, je l’ai dit, le moment de la ruine complète. On aima mieux rester pauvre, à la garde de Dieu et de Notre-Dame.

Notre-Dame ne passe point pour ingrate. On sait, du moyen âge, plus d’un récit pieux dans lequel la Vierge, saluée et honorée, s’attache désormais, comme protectrice, au destin de l’âme qui, à elle du moins, s’est montrée fidèle. L’âme dévote à Notre-Dame peut avoir ses erreurs dans le long pèlerinage ; elle peut faiblir et faillir : la Vierge est là qui, à une heure donnée, la rappelle et la sauve Cette touchante religion du moyen âge, et qui est restée entière dans les mœurs méridionales, cette religion que la momerie de Louis XI n’a pu flétrir, et qui sied dans son indulgence au