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Page:Desbordes-Valmore - Poésies, 1860.djvu/17

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date, qu’elle n’avait pu lire encore Lamartine, dont les Méditations ne paraissaient qu’au moment même. Eh bien, voilà un génie charmant, léger, plaintif, rêveur, désolé, le génie de l’élégie et de la romance, qui se fait entendre sur ces tons pour la première fois : il ne doit rien qu’à son propre cœur. Que pourriez-vous lui comparer dans nos poëtes, et surtout dans nos poëtes-femmes d’auparavant ? Plus tard ces lignes simples se chargeront un peu. Sans imiter les autres, on se répétera soi-même ; on retombera dans les situations déjà exprimées, dans les sentiments d’abord produits : c’est inévitable. Si Malherbe a pu dire de la vie des mortels :

Tout le plaisir des jours est en leurs matinées,
La nuit est déjà proche à qui passe midi ;

cela semble surtout vrai de la vie poétique et tendre, de l’inspiration élégiaque et romanesque. Madame Valmore, en avançant, aura, par accès peut-être, des cris plus déchirants, des éclairs plus perçants et plus aigus, comme aux approches de l’ombre ; mais ici ce sont de doux éclairs du matin, de jolis rayons d’avril, les lilas aimés, le réséda dans sa senteur : et déjà s’exhalent pourtant, à travers des gémissements tout mélodieux, ces beaux élans de passion désolée qui la mettent tant au-dessus et à part des autres femmes, de celles même qui ont osé chanter le mystère. C’est l’André Chénier femme, a-t-on dit. Avec moins d’art incomparablement, elle a la source de sensibilité plus intime, plus profonde.

Comme madame Riccoboni, notre tendre auteur d’élégies semble avoir été de bonne heure poursuivie par l’idée fatale de l’infidélité dont un cœur aimant est victime Si l’une exprime cette idée fixe par Fanny Butler, par le Marquis de Cressy, par tous ses romans, l’autre la déplore par toutes ses poésies. Elle s’écrierait comme Sapho dans l’ode célèbre : « Immortelle Aphrodite au trône d’or, fille avisée du roi des dieux, je t’invoque, épargne-moi, ne me dompte point par trop d’amères douleurs, ô déesse vénérée ! Autrefois, dès que tu entendais ma plainte d’amante (et tu l’entendais fréquem-