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ÉLÉGIE


Ma sœur, il est parti ! ma sœur, il m’abandonne !
Je sais qu’il m’abandonne, et j’attends, et je meurs,
Je meurs. Embrasse-moi, pleure pour moi… pardonne…
Je n’ai pas une larme, et j’ai besoin de pleurs,
Tu gémis : que je t’aime ! Oh ! jamais le sourire
Ne te rendit plus belle aux plus beaux de nos jours !
Tourne vers moi les yeux, si tu plains mon délire ;
Si tes yeux ont des pleurs, regarde-moi toujours.
Mais retiens tes sanglots ; il m’appelle, il me touche ;
Son souffle en me cherchant vient d’effleurer ma bouche :
Laisse, tandis qu’il brûle et passe autour de nous,
Laisse-moi reposer mon front sur tes genoux.

Écoute : ici, ce soir, à moi-même cachée,
Je ne sais quelle force attirait mon ennui :
Ce n’était plus son ombre à mes pas attachée,
Oh ! ma sœur, c’était lui.
C’était lui, mais changé, mais triste. Sa voix tendre
Avait pris des accents inconnus aux mortels,
Plus ravissants, plus purs, comme on croit les entendre
Quand on rêve les cieux au pied des saints autels.
Il parlait, et ma vie était près de s’éteindre.
L’étonnement, l’effroi, ce doux effroi du cœur,
M’enchaînait devant lui : je l’écoutais se plaindre,
Et, mourante pour lui, j’accusais ma rigueur.
Il parlait, il rendait la nature attentive ;
Tout se taisait ; des vents l’haleine était captive ;