Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, I.djvu/266

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genere cauſæ qu’il a créé toutes choſes, c’eſt à dire vt efficiens & totalis cauſa. Car il eſt certain qu’il eſt auſſi bien Autheur de l’eſſence comme de l’exiſtence des creatures : or cette eſſence n’eſt autre choſe que ces veritez eternelles, leſquelles ie ne conçoy 5 point émaner de Dieu, comme les rayons du Soleil ; mais ie ſçay que Dieu eſt Autheur de | toutes choſes, & que ces veritez ſont quelque choſe, & par conſequent qu’il en eſt Autheur. Ie dis que ie le ſçay, & non pas que ie le conçoy ny que ie le comprens ; car on peut 10 ſçauoir que Dieu eſt infiny & tout-puiſſant, encore que noſtre ame eſtant finie ne le puiſſe comprendre ny conceuoir ; de meſme que nous pouuons bien toucher auec les mains vne montagne, mais non pas l’embraſſer comme nous ferions vn arbre, ou 15 quelqu’autre choſe que ce ſoit, qui n’excedaſt point la grandeur de nos bras : car comprendre, c’eſt embraſſer de la penſée ; mais pour ſçauoir vne choſe, il ſuffit de la toucher de la penſée[1]. Vous demandez auſſi qui a neceſſité Dieu à creer ces veritez ; et ie dis qu’il 20 a eſté auſſi libre de faire qu’il ne ſuſt pas vray que toutes les lignes tirées du centre à la circonference fuſſent égales, comme de ne pas creer le monde. Et il eſt certain que ces veritez ne font pas plus neceſſairement conjointes à ſon eſſence, que les autres 25 creatures. Vous demandez ce que Dieu a fait pour les produire. Ie dis que ex hoc ipſo quod illas ab æterno eſſe voluerit & intellexerit, illas creauit, ou bien (ſi vous n’attribuez le mot de creauit qu’à l’exiſtence des

  1. Cf. Réponses aux Instances de Gassendi, § 12, et Principia Philosophiæ, I, § 40, version française.