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Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, IV.djvu/296

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maladies qui, oſtant le pouuoir de raiſonner, oſtent auſſy celuy de iouir d’vne ſatisfaction d’eſprit raiſonnable ; & cela m’apprent que ce que i’auois dit generalement de tous les hommes, ne doit eſtre entendu que de ceux qui ont l’vſage libre de leur raiſon, & auec cela qui ſçauent le chemin qu’il faut tenir pour paruenir a cete beatitude. Car il n’y a perſonne qui ne deſire ſe rendre hureux ; mais pluſieurs n’en ſçauent pas le moyen ; & ſouuent l’indiſpoſition qui eſt dans le corps, empeſche que la volonté ne ſoit libre. Comme il arriue auſſy quand nous dormons ; car le plus philoſophe du monde ne ſçauroit s’empeſcher d’auoir de mauuais ſonges, lorſque ſon temperament l’y[1] diſpoſe. Touteſois l’experience fait voir que, ſi on[2] a eu ſouuent quelque penſée, pendant qu’on a eu l’eſprit en liberté, elle reuient encore apres, quelque indiſpoſition qu’ait le cors ; ainſy ie puis dire[3] que mes ſonges ne me repreſentent iamais rien de faſcheux, & ſans doute qu’on a grand auantage de s’eſtre des long tems accouſtumé a n’auoir point de triſtes penſées. Mais nous ne pouuons reſpondre abſolument de nous meſmes, que pendant que nous ſommes a nous, & c’eſt moins de perdre la vie que de perdre l’vſage de la raiſon ; car, meſme ſans les enſeignemens de la foy, la ſeule philoſophie naturelle ſait eſperer a noſtre ame vn eſtat plus hureux, apres la mort, que celuy ou elle eſt a preſent ; & elle ne luy fait rien craindre de plus faſcheux, que d’eſtre attachée a vn cors qui luy oſte entierement ſa liberté.

Pour les autres indiſpoſitions, qui ne troublent pas

  1. l’y] luy.
  2. on] l’on.
  3. puis dire] me puis vanter.