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VIII
Avertissement.

fait eſperer qu'ils ſeront leus par plus de perſonnes en François qu'en Latin, & qu'ils ſeront mieux entendus.» (Ci-après, p. 1, I. 5-9.) Et c'est tout. Or il est clair que les mots ſi nette et ſi accomplie se rapportent plutôt à la forme qu'au fond ; ce sont les qualités du style que loue le philosophe, lesquelles rendront plus aisée la lecture du livre, et non pas l'exactitude, la fidélité de la traduction, dont il ne dit mot. Non pas que l'on doive interpréter ce silence comme une réserve ou un blâme tacite ; mais enfin Descartes ne se porte pas non plus ici garant de la traduction française des Principes, comme il l'avait fait expressément, par exemple, pour la traduction latine du Discours et des Essais. Comparons donc l'un à l'autre, pour édifier notre jugement, l'original latin et la version française.

Cette comparaison, au moins pour les deux premières parties, plutôt métaphysiques, comme on sait, les deux autres étant plutôt scientifiques, suggère aussitôt de singulières réflexions. D'abord, en ce qui concerne la forme ou le style même, le latin de Descartes n'est pas seulement plus sobre, plus net, plus vigoureux, tandis que les expressions françaises sont souvent incertaines, plus ou moins approximatives, et molles et vagues ; mais, comme tours de phrases, l'auteur a parfois un style coupé, haché même, en propositions détachées les unes des autres, et d'une saisissante brièveté, tandis que le traducteur se plaît à réunir deux ou trois de ces propositions, et les relie et les enserre, à l'aide de conjonctions surajoutées, en des périodes plus ou moins longues, encombrées d'incises, et qui traînent et n'en finissent plus. Si bien que, chose remarquable, le latin, ici singulièrement dégagé, de Descartes se rapproche plus du français moderne et paraît en avance, à cet égard, sur la traduction, tandis que le français de Picot retarde, sans conteste, et se rengage sous le joug du latinisme diffus en usage dans l'Ecole. Certes on ne sera pas tenté, après une double lecture comparative, d'attribuer à Descartes la version française des deux premières parties : elle doit être de Picot,