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A MESSIEURS LES DOYEN & DOCTEURS
DE LA SACRÉE FACULTÉ DE THEOLOGIE
DE PARIS.[1]


Messieurs,

La raiſon qui me porte à vous preſenter cét ouurage eſt ſi iuſte, &, quand vous en connoiſtrez le deſſein, ie m'aſſeure que vous en aurez auſſi vne ſi iuſte de le prendre en voſtre protection, que ie penſe ne pouuoir mieux faire, pour vous le rendre en quelque ſorte recommandable, qu'en vous diſant en peu de mots ce que ie m'y ſuis propoſé. I'ay toûjours eſtimé que ces deux queſtions, de Dieu (2) & de l'ame, eſtoient les principales de | celles qui doiuent pluſtoſt eſtre demonſtrées par les raiſons de la Philoſophie que de la Theologie: car bien qu'il nous ſuffiſe, à nous autres qui ſommes ſideles, | de croire par la Foy qu'il y a vn Dieu, & que l'ame humaine ne meurt point auec le corps, certainement il ne ſemble pas poſſible de pouuoir iamais perſuader aux Infideles aucune Religion, ny quaſi meſme aucune vertu Morale, ſi premierement on ne leur prouue ces deux choſes par raiſon naturelle. Et d'autant qu'on propoſe ſouuent en cette vie de plus grandes recompenſes pour les vices que pour les vertus, peu de perſonnes prefereroient le iuſte à l'vtile, ſi elles n'eſtoient retenuës, ny par la crainte de Dieu, ny par l'attente d'vne autre vie. Et quoy qu'il ſoit abſolument vray, qu'il faut croire qu'il y a vn Dieu, parce qu'il eſt ainſi enſeigné dans les Saintes Eſcritures, & d'autre part qu'il faut croire les Saintes Eſcritures, parce qu'elles viennent de Dieu; & cela pource que, la Foy eſtant vn don de Dieu, celuy-la meſme qui donne la grace pour faire croire les autres choſes, la peut auſſi donner pour nous faire croire qu'il

  1. Cette Epistre, placée en tète du volume dans les trois premières éditions, n'est point paginée. Les numéros en marge, entre parenthèses, indiquent les pages de la première édition. Les numéros en haut des pages renvoient à celles du texte latin (t. VII-de cette édition) ; les lignes verticales, d'un trait plus fort, correspondent à ces dernières.