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13-14.
Œuvres de Descartes.

& nette, & entierement diſtincte de toutes les conceptions que l'on peut auoir du corps : ce qui a eſté fait en ce lieu-là. Il eſt requis, outre cela, de ſçauoir que toutes les choſes que nous conceuons clairement & diſtinctement ſont vrayes, ſelon que nous les conceuons : ce qui n'a pú eſtre prouué auant la quatriéme Meditation. De plus, il faut auoir vne conception diſtincte de la nature corporelle, laquelle ſe forme, partie dans cette ſeconde, & partie dans la cinquiéme & fixiéme Meditation. Et enfin, l'on doit conclure de tout cela que les choſes que l'on conçoit clairement & diſtinctement eſtre des ſubstances diuerſes, comme l'on conçoit l'Eſprit & le Corps, ſont en effet des ſubſtances diuerſes, & réellement diſtinctes les vnes d'auec les autres : & c'eſt ce (3) que l'on conclut dans la ſixiéme Meditation. Et en la | meſme auſſi cela ſe confirme, de ce que nous ne conceuons aucun corps que comme diuiſible, au lieu que l'eſprit, ou l'ame de l'homme, ne ſe peut conceuoir que comme indiuiſible : car, en effet, nous ne pouuons conceuoir la moitié d'aucune ame, comme nous pouuons faire du plus petit de tous les corps; en ſorte que leurs natures ne ſont pas ſeulement reconnuës diuerſes, mais meſme en quelque façon contraires. Or il faut qu'ils ſçachent que ie ne me ſuis pas engagé d'en rien dire dauantage en ce traitté-cy, tant parce que cela ſuffit pour monſtrer aſſez clairement que de la corruption du corps la mort de l'ame ne s'enſuit pas, & ainſi pour donner aux hommes l'eſperance d'vne ſeconde vie aprés la mort; comme auſſi parce que les premiſſes deſquelles on peut conclure l'immortalité de l'ame, dépendent de l'explication de toute la Phyſique : Premierement, | afin de ſçauoir que generalement toutes les ſubſtances, c'eſt à dire toutes les choſes qui ne peuuent exiſter ſans eſtre creées de Dieu, ſont de leur nature incorruptibles, & ne peuuent iamais ceſſer d' eſtre, ſi elles ne ſont reduites au neant par ce meſme Dieu qui leur veüille dénier ſon concours ordinaire. Et enſuite, afin que l'on remarque que le corps, pris en general, eſt vne ſubſtance, c'eſt pourquoy auſſi il ne perit point ; mais que le corps humain, en tant qu'il differe des autres corps, n'eſt formé & compoſé que d'vne certaine configuration de membres, & d'autres ſemblables accidens; & l'ame humaine, au contraire, n'eſt point ainſi compoſé d'aucuns accidens, mais eſt vne pure ſubſtance. Car encore que tous ſes accidens ſe changent, par exemple, qu'elle conçoiue de certaines choſes, qu'elle en veüille d'autres, qu'elle (4) en ſente d'autres, &c., c'eſt pourtant touſiours la | meſme ame ; au lieu que le corps humain n'eſt plus le meſme, de cela ſeul que la figure de quelques-vnes de ſes parties ſe trouue changée. D'où il s'enſuit que le corps humain peut facilement périr, mais que l'eſprit, ou l'ame de l'homme (ce que ie ne diſtingue point), eſt immortelle de ſa nature.