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Œuvres de Descartes.

C’eſt pourquoy peut-eſtre que de là nous ne conclurons pas mal, ſi nous diſons que la Phyſique, l’Aſtronomie, la Medecine, & toutes les autres ſciences qui dépendent de la conſideration des choſes compoſées, ſont fort douteuſes & incertaines ; mais que l’Arithmetique, la Geometrie, & les autres ſciences de cette nature, qui ne traittent que de choſes fort ſimples & fort generales, ſans ſe mettre beaucoup en peine ſi elles ſont dans la nature, ou ſi elles n’y ſont pas, contiennent quelque choſe de certain & d’indubitable. Car, ſoit que ie veille ou que ie dorme, deux & trois ioints enſemble formeront toùjours le nombre de cinq, & le quarré n’aura iamais plus de quatre coſtez ; & il ne ſemble pas poſſible que des veritez ſi aparentes puiſſent eſtre ſoupçonnées d’aucune fauſſeté ou d’incertitude.

| Toutesfois il y a long-temps que i’ay dans mon eſprit vne certaine opinion, qu’il y a vn Dieu qui peut tout, & par qui i’ay eſté creé & produit tel que ie ſuis. Or qui me peut auoir aſſuré que ce Dieu n’ait point fait qu’il n’y ait aucune terre, aucun Ciel, aucun (13) corps eſtendu, aucune figure, aucune grandeur, | aucun lieu, & que neantmoins i’aye les ſentimens de toutes ces choſes, & que tout cela ne me ſemble point exiſter autrement que ie le voy ? Et meſme, comme ie iuge quelquefois que les autres ſe méprennent, meſme dans les choſes qu’ils penſent ſçauoir auec le plus de certitude, il ſe peut faire qu’il ait voulu que ie me trompe toutes les fois que ie fais l’addition de deux & de trois, ou que ie nombre les coſtez d’vn quarré, ou que ie iuge de quelque choſe encore plus facile, ſi l’on ſe peut imaginer rien de plus facile que cela. Mais peut-eſtre que Dieu n’a pas voulu que ie fuſſe deceu de la ſorte, car il eſt dit ſouuerainement bon. Toutesfois, ſi cela repugneroit à ſa bonté, de m’auoir fait tel que ie me trompaſſe touſiours, cela ſembleroit auſſi luy eſtre aucunement contraire, de permettre que ie me trompe quelquefois, & neantmoins ie ne puis douter qu’il ne le permette.

Il y aura peut-eſtre icy des perſonnes qui aymeront mieux nier l’exiſtence d’vn Dieu ſi puiſſant, que de croire que toutes les autres choſes ſont incertaines. Mais ne leur reſiſtons pas pour le preſent, & ſuppoſons, en leur faueur, que tout ce qui eſt dit icy d’vn Dieu ſoit vne fable. Toutesfois, de quelque façon qu’ils ſuppoſent que ie ſois paruenu à l’eſtat & à l’eſtre que ie poſſede, ſoit qu’ils l’attribuent à quelque deſtin ou fatalité, ſoit qu’ils le referent au hazard, ſoit qu’ils veüillent que ce ſoit par vne continuelle ſuite & (14) liaiſon des choſes, il eſt certain que, | puiſque faillir & ſe tromper