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30-31.
Œuvres de Descartes.

ne rendra plus aucun ſon. La meſme cire demeure-t-elle aprés ce changement ? Il faut auoüer qu'elle demeure ; & perſonne ne le peut nier. Qu'eſt-ce donc que l'on connoiſſoit en ce morceau de cire auec tant de diſtinction ? Certes ce ne peut eſtre rien de tout ce que i'y ay remarqué par l'entremiſe des ſens, puiſque | toutes les choſes qui tomboient ſous le gouſt, ou l'odorat, ou la veuë, ou l'attouchement, ou l'ouye, ſe trouuent changées, & cependant la meſme cire demeure. Peut-eſtre eſtoit-ce ce que ie penſe maintenant, à ſçauoir que la cire n'eſtoit pas ny cette douceur du miel, ny cette agreable odeur des fleurs, ny cette blancheur, ny cette figure, ny ce ſon, mais ſeulement vn corps qui vn peu auparauant me paraiſſoit ſous ces formes, & qui maintenant ſe fait remarquer ſous d'autres. Mais qu'eft-ce, preciſément parlant, que i'imagine, lorſque ie la conçoy en cette ſorte? Conſiderons-le | attentiuement, & éloignant toutes les choſes qui n'appartiennent point à la cire, voyons ce qui reſte. Certes il ne demeure rien que quelque choſe d'eſtendu, de flexible & de muable. Or qu'eſt-ce que cela : flexible & muable ? N'eſt-ce pas que i'imagine que cette cire eſtant ronde eſt capable de deuenir quarrée, & de paſſer du quarré en vne figure triangulaire ? Non certes, ce n'eſt pas cela, puiſque ie la conçoy capable de receuoir vne infinité de ſemblables changemens, & ie ne ſçaurois neantmoins parcourir cette infinité par mon imagination, & par conſequent cette conception que i'ay de la cire ne s'accomplit pas par la faculté d'imaginer.

Qu'eſt-ce maintenant que cette extenſion ? N'eſt-elle pas auſſi inconnuë, puiſque dans la cire qui ſe fond elle augmente, & ſe trouue encore plus grande quand elle eſt entierement fondue, & beaucoup plus encore quand la chaleur augmente dauantage ? Et ie ne con|ceurois pas clairement & ſelon la verité ce que c'eſt que la cire, ſi ie ne penſois qu'elle eſt capable de receuoir plus de varietez ſelon l'extenſion, que ie n'en ay iamais imaginé. Il faut donc que ie tombe d'accord, que ie ne ſçaurois pas meſme conceuoir par l'imagination ce que c'eſt que cette cire, & qu'il n'y a que mon entendement ſeul qui le conçoiue ; ie dis ce morceau de cire en particulier, car pour la cire en general, il eſt encore plus euident. Or quelle eſt cette cire, qui ne peut eſtre conceuë que par l'entendement ou l'eſprit ? Certes c'eſt la meſme que ie voy, que ie touche, que i'imagine, & la meſme que ie connoiſſois dés le commencement. Mais ce qui eſt à remarquer, ſa perception, ou bien l'action par laquelle on l'aperçoit, n'eſt point vne viſion, ny vn attouchement, ny vne imagination, & ne l'a iamais eſté, quoy qu'il le ſemblaſt ainſi auparauant,