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44-45. Méditations. — Troisième. 55

nous femble reprefenter quelque chofe, s'il eft vray de dire que le froid ne foit autre chofe qu'vne priuation de la chaleur, l'idée qui me le reprefente comme quelque choie de réel & de pofitif, ne fera pas mal à propos appellée faufle, ^ ainfi des autres femblables idées ; aufquelles certes il n'eft pas neceffaire que i'attribuë d'autre au- theur que moy-mefme. Car, fi elles font fauffes, c'eft à dire fi elles reprefentent des chofes qui ne font point, la lumière naturelle me fait connoiftre qu'elles procèdent du néant, c'efl à dire qu'elles ne font en moy, que parce qu'il manque quelque chofe à ma nature, & qu'elle n'efl pas toute parfaite. Et fi ces idées font vrayes, neant- moins, parce qu'elles me font paroiflre fi peu de realité, que mefme le ne puis pas nettement difcerner la chofe reprefentée d'auec le non eftre, ie ne voy point de raifon pourquoy elles ne puiffent eftre produites par moy-mefme, & que ie n'en puiffe eflre l'auteur.

Quant aux idées claires & diftinftes que i'ay des chofes corpo- relles, il y en a quelques-vnes qu'il femble que i'aye pu tirer de l'idée que i'ay de moy-mefme, comme celle que i'ay de la fub- ftance, de la durée, du nombre, & d'autres chofes femblables. Car, lorfque ie penfe que la pierre efi vne fubftance, ou bien vne chofe qui de foy eft capable d'exifter, puis que ie fuis | vne fubftance, 48 quoy que ie conçoiue bien que ie fuis vne chofe qui penfe & non étendue, & que la pierre au contraire eft vne chofe étendue & qui ne penfe point, & qu'ainfi entre ces deux conceptions il fe ren- contre vne notable différence, toutesfois elles femblent conuenir en ce qu'elles reprefentent des fubftances. De mefme, quand ie penfe que ie fuis maintenant, & que ie me reffouuiens outre cela d'auoir efté autresfois, & que ie conçoy plufieurs diuerfes penfées dont ie connois le nombre, alors i'acquiers en moy | les idées de la durée & du nombre, lefquelles, par après, ie puis transférer à toutes les autres chofes que ie voudray.

Pour ce qui eft des autres qualitez dont les idées des chofes corporelles font compofées, à fçauoir l'étendue, la figure, la fitua- tion. & le mouuement de lieu, il eft vray qu'elles ne font point formellement en moy, puifque ie ne fuis qu'vne chofe qui penfe ; mais parce que ce font feulement de certains modes de la fub- ftance, & comme les veftemens fous lefquels la fubftance corporelle nous paroift, & que ie fuis aufli moy-mefme vne fubftance, il femble qu'elles puifl"ent eftre contenues en moy éminemment.

Partant il ne refte que la feule idée de Dieu, dans laquelle il faut confiderer s'il y a quelque chofe qui n'ait pu venir de moy-mefme. Par le nom de Dieu i'entens vne fubftance infinie, éternelle, im-

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