Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, IX.djvu/63

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46-47- Méditations, — Troisième. ^7

Et cecy ne laiffe pas d'eftre vray, encore que ie ne comprenne pas l'infiny, ou mefme qu'il fe rencontre en Dieu vne infinité de chofes que ie ne puis comprendre, ny peut-eftre aufli atteindre aucune- ment par la penfée : car il eft de la nature de l'infiny, que ma nature, qui eft finie & bornée, ne le puifTe comprendre; & il fuffit que ie conçoiue bien cela, & que ie iuge que toutes les chofes que ie conçoy clairement, & dans lefquelles ie fçay qu'il y a queljque 51 perfeftion, & peut-eftre aufli vne infinité d'autres que i'ignore, font en Dieu formellement ou éminemment, afin que l'idée que i'en ay foit la plus vraye, la plus claire & la plus diftinfte de toutes celles qui font en mon efprit.

Mais peut-eftre aufli que ie fuis quelque chofe de plus que ie ne m'imagine, & que toutes les perfedions que i'attribuë à la nature d'vn Dieu, font en quelque façon en moy en puifl"ance, quoy qu'elles ne fe produifent pas encore, | & ne fe facent point paroiftre par leurs adions. En effet i'experimente défia que ma connoiffance s'aug- mente & fe perfectionne peu à peu, & ie ne voy rien qui la puifle empefcher de s'augmenter de plus en plus iufques à l'infiny; puis, eftant ainfi accreuë & perfectionnée, ie ne voy rien qui empefche que ie ne puiffe m'acquerir par"fon moyen toutes les autres per- fections de la nature Diuine ; & enfin il femble que la puiffance que i'ay pour l'acquifition de ces perfe6tions, fi elle eft en moy, peut eftre capable d'y imprimer & d'y introduire leurs idées. Toutesfois, en y regardant vn peu de prez, ie reconnois que cela ne peut eftre ; car, premièrement, encore qu'il fuft vray que ma connbifiance ac- quilt tous les iours de nouueaux degrez de perfedion, & qu'il y euft en ma nature beaucoup de chofes en puiffance, qui n'y font pas encore aftuellement, toutesfois tous ces auantages n'appartiennent & n'approchent en aucune forte de l'idée que i'ay de la Diuinité, dans laquelle rien ne | fe rencontre feulement en puiffance, mais 52 tout y eft actuellement & en effed. Et mefme n'eft-ce pas vn argu- ment infaillible & très-certain d'imperfection en ma connoiffance, de ce qu'elle s'accroift peu à peu, & qu'elle s'augmente par degrez ? Dauantage, encore que ma connoiffance s'augmentaft de plus en plus, neantmoins ie ne laiffe pas de conceuoir qu'elle ne fçauroit eftre actuellement infinie, puifqu'elle n'arriuera iamais à vn fi haut point de perfection, qu'elle ne foit encore capable d'acquérir quelque plus grand accroiiïement. Mais ie conçoy Dieu actuelle- ment infiny en vn fi haut degré, qu'il ne fe peut rien adioufter à la fouueraine perfettion qu'il poffede. Et enfin ie comprens fort bien que l'eftre objectif d'vne idée ne peut eftre produit par vn eftre qui

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