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58-50. Méditations. — Quatrième. 47

cette queltion, il fuiuoit tres-euidemment que l'exiftois moy-mefme, ie ne pouuois pas m'empefcher de iuger qu'vne choie que ie conce- uois fi clairement eftoit vraye, non que | le m'y trounalfe forcé par aucune caufe extérieure, mais feulement, parce que d'vne grande clarté qui eftoit en mon entendement, a fuiuy vne grande inclina- Ition en ma volonté ; & ie me fuis p'orté à croire auec d'autant plus 69 de liberté, que ie me fuis trouué auec moins d'indifférence. Au contraire, à prefent ie ne connois pas feulement que i'exifte, en tant que ie fuis quelque chofe qui penfe, mais il fe prefente auffi à mon efprit vne certaine idée de la nature corporelle : ce qui fait que ie doute û. cette nature qui penfe, qui eft en moy, ou plutoft par la- quelle ie fuis ce que ie fuis, eft différente de cette nature corporelle, ou bien fi toutes deux ne font qu'vne mefme chofe. Et ie fuppofe icy que ie ne connois encore aucune raifon, qui me perfuade pluftoft l'vn que l'autre ; d'où il fuit que ie fuis entièrement indiffèrent à le nier, ou à l'affurer, ou bien mefme à m'abftenir d'en donner aucun iugement.

Et cette indifférence ne s'étend pas feulement aux chofes dont l'entendement n'a aucune connoiffance, mais généralement aufli à toutes celles qu'il ne découure pas auec vne parfaite clarté, au moment que la volonté en délibère; car, pour probables que foyent les conieélures qui me rendent enclin à iuger quelque chofe, la feule connoiffance que i'ay que ce ne l'ont que des conieftures, & non des raifons certaines & indubitables, fuffit pour me donner occafion de iuger le contraire. Ce que i'ay fuffifamment expérimenté ces iours paffez, lorfque i'ay pofé pour faux tout ce que i'auois tenu aupa- rauant pour tres-veritable, pour cela feul que i'ay remarqué que l'on en pouuoit douter en quelque forte.

I Or 11 ie m'abftiens de donner mon iugement fur vne chofe, '0 lorfque ie ne la conçoy pas auec alfcz de clarté & de diftinclion, il eft euident que l'en vfe fort bien, & que ie ne fuis point trompé ; mais fi ie me détermine à la nier, ou affeurer, alors ie ne me fers plus comme ie dois de mon libre arbitre ; & | fi i'affure ce qui n'eft pas vray, il eft euident que ie me trompe, mefme auffi, encore que ie iuge félon la vérité, cela n'arriue que par hazard, & ie ne laiffe pas de faillir, & d'vfer mal de mon libre arbitre ' ; car la lumière na- turelle nous enfeigne que la connoiffance de l'entendement doit toufiours précéder la détermination de la volonté. Et c'eft dans ce mauuais vfage du libre arbitre, que fe rencontre la priuation qui

a. Arbitre omis {l^ édit.)

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