Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, V.djvu/69

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qu’il n’en puiſſe auoir fait vne infinité d’autres tres-grands à vne infinité d’autres creatures. Et bien que ie n’infère point pour cela qu’il y ait des creatures intelligentes dans les étoiles ou ailleurs, ie ne voy pas 5 auſſi qu’il y ait aucune raiſon, par laquelle on puiſſe prouuer qu’il n’y en a point ; mais ie laiſſe touſiours indeciſes les queſtions qui font de cette ſorte, plutoſt que d’en rien nier ou aſſurer. Il me ſemble qu’il ne reſte plus icy autre difficulté, ſinon qu’après auoir crû 10 long-temps que l’homme a de grands auantages par deſſus les autres creatures, il ſemble qu’on les perde tous, lors qu’on vient à changer d’opinion. Mais ie diſtingue entre ceux de nos biens qui peuuent deuenir moindres, de ce que d’autres en poſſedent de ſemblables 15, & ceux que cela ne peut rendre moindres. Ainſi vn homme qui n’a que mille piſloles ſeroit fort riche, s’il n’y auoit point d’autres perſonnes au monde qui en euſſent tant ; & le meſme ſeroit fort pauure, s’il n’y auoit perſonne qui n’en euſt beaucoup dauantage. 20 Et ainſi toutes les qualitez loüables donnent d’autant plus de gloire à ceux qui les ont, qu’elles ſe rencontrent en moins de perſonnes ; c’eſt pourquoy on a coutume de porter enuie à la gloire & aux richeſſes d’autruy. Mais la vertu, la ſcience, la ſanté, & generalement 25 tous les autres biens, eſtant conſiderez en eux meſmes, ſans eſtre raportez à la gloire, ne ſont aucunement moindres en nous, de ce qu’ils ſe trouuent auſſi en beaucoup d’autres ; c’eſt pourquoy nous n’auons aucun ſuiet d’eſtre ſaſchez qu’ils ſoient en pluſieurs 30. Or les biens qui peuuent eſtre en toutes les creatures intelligentes d’vn monde indefiny ſont de ce