Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, VI.djvu/27

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i’eſtois en l’vne des plus celebres eſcholes de l’Europe, où ie penſois qu’il deuoit y auoir de ſçauans hommes, s’il y en auoit en aucun endroit de la terre. I’y auois appris tout ce que les autres y apprenoient ; & meſme, ne m’eſtant pas contenté des ſciences qu’on nous enſeignoit, i’auois parcouru tous les liures, traitans de celles qu’on eſtime les plus curieuſes & les plus rares, qui auoient pû tomber entre mes mains. Auec cela, ie ſçauois les iugemens que les autres faiſoient de moy ; & ie ne voyois point qu’on m’eſtimaſt inferieur a mes condiſciples, bien qu’il y en euſt deſia entre eux quelques vns, qu’on deſtinoit a remplir les places de nos maiſtres. Et enfin noſtre ſiecle me ſembloit auſſy fleuriſſant, & auſſy fertile en bons eſprits, qu’ait eſté aucun des precedens. Ce qui me faiſoit prendre la liberté de iuger par moy de tous les autres, & de penſer qu’il n’y auoit aucune doctrine dans le monde, qui fuſt telle qu’on m’auoit auparauant fait eſperer.

Ie ne laiſſois pas toutefois d’eſtimer les exercices, auſquels on s’occupe dans les eſcholes. Ie ſçauois que les langues, qu’on y apprent, ſont neceſſaires pour l’intelligence des liures anciens ; que la gentilleſſe des fables reſueille l’eſprit ; que les actions memorables des hiſtoires le releuent, & qu’eſtant leuës auec diſcretion, elles aydent a former le iugement ; que la lecture de tous les bons liures eſt comme vne conuerſation auec les plus honneſtes gens des ſiecles paſſez, qui en ont eſté les autheurs, & meſme vne conuerſation eſtudiée, en laquelle ils ne nous découurent que les meilleures de leurs penſées ; que l’Eloquence a des forces & des beautez incomparables ; que la Poëſie a des