Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, VI.djvu/37

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mation. Et ſi ie penſois qu’il y euſt la moindre choſe en cet eſcrit, par laquelle on me pûſt ſoupçonner de cete folie, ie ſerois tres marry de ſouffrir qu’il fuſt publié. Iamais mon deſſein ne s’eſt eſtendu plus auant que de taſcher a reformer mes propres penſées, & de baſtir dans vn fons qui eſt tout a moy. Que ſi, mon ouurage m’ayant aſſez pleu, ie vous en fais voir icy le modelle, ce n’eſt pas, pour cela, que ie veuille conſeiller a perſonne de l’imiter. Ceux que Dieu a mieux partagez de ſes graces, auront peuteſtre des deſſeins plus releuez ; mais ie crains bien que cetuy-cy ne ſoit deſia que trop hardi pour pluſieurs. La ſeule reſolution de ſe défaire de toutes les opinions qu’on a receuës auparauant en ſa creance, n’eſt pas vn exemple que chaſcun doiue ſuiure ; et le monde n’eſt quaſi compoſé que de deux ſortes d’eſpris auſquels il ne conuient aucunement. A ſçauoir, de ceux qui, ſe croyans plus habiles qu’ils ne ſont, ne ſe peuuent empeſcher de precipiter leurs iugemens, ny auoir aſſez de patience pour conduire par ordre toutes leurs penſées : d’où vient que, s’ils auoient vne fois pris la liberté de douter des principes qu’ils ont receus, & de s’eſcarter du chemin commun, iamais ils ne pourroient tenir le ſentier qu’il faut prendre pour aller plus droit, & demeureroient eſgarez toute leur vie. Puis, de ceux qui, ayant aſſez de raiſon, ou de modeſtie, pour iuger qu’ils ſont moins capables de diſtinguer le vray d’auec le faux, que quelques autres par leſquels ils peuuent eſtre inſtruits, doiuent bien plutoſt ſe contenter de ſuiure les opinions de ces autres, qu’en chercher eux meſmes de meilleures.