Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, VI.djvu/46

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ment, ie mettois entre les excés toutes les promeſſes par leſquelles on retranche quelque choſe de ſa liberté. Non que ie deſaprouuaſſe les lois qui, pour remedier a l’inconſtance des eſprits foibles, permettent, lorſqu’on a quelque bon deſſein, ou meſme, pour la ſeureté du commerce, quelque deſſein qui n’eſt qu’indifferent, qu’on face des vœux ou des contrats qui obligent a y perſeuerer ; mais a cauſe que ie ne voyois au monde aucune choſe qui demeuraſt touſiours en meſme eſtat, & que, pour mon particulier, ie me promettois de perfectionner de plus en plus mes iugemens, & non point de les rendre pires, i’euſſe penſé commettre vne grande faute contre le bon ſens, ſi, pour ce que i’approuuois alors quelque choſe, ie me fuſſe obligé de la prendre pour bonne encore aprés, lorſqu’elle auroit peuteſtre ceſſé de l’eſtre, ou que i’aurois ceſſé de l’eſtimer telle.

Ma ſeconde maxime eſtoit d’eſtre le plus ferme & le plus reſolu en mes actions que ie pourrois, & de ne ſuiure pas moins conſtanment les opinions les plus douteuſes, lorſque ie m’y ſerois vne fois determiné, que ſi elles euſſent eſté tres aſſurées. Imitant en cecy les voyaſgeurs qui, ſe trouuant eſgarez en quelque foreſt, ne doiuent pas errer en tournoyant, tantoſt d’vn coſté, tantoſt d’vn autre, ny encore moins s’areſter en vne place, mais marcher touſiours le plus droit qu’ils peuuent vers vn meſme coſté, & ne le changer point pour de foibles raiſons, encore que ce n’ait peuteſtre eſté au commencement que le haſard ſeul qui les ait determinez a le choiſir : car, par ce moyen, s’ils ne vont iuſtement où ils deſirent, ils arriueront