Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, VI.djvu/48

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deſirer que les choſes que noſtre entendement luy repreſente en quelque façon comme poſſibles, il eſt certain que, ſi nous conſiderons tous les biens qui ſont hors de nous comme eſgalement eſloignez de noſtre pouuoir, nous n’aurons pas plus de regret de manquer de ceux qui ſemblent eſtre deus a noſtre naiſſance, lorſque nous en ſerons priuez ſans noſtre faute, que nous auons de ne poſſeder pas les royaumes de la Chine ou de Mexique ; & que faiſant, comme on dit, de neceſſité vertu, nous ne deſirerons pas dauantage d’eſtre ſains, eſtant malades, ou d’eſtre libres, eſtant en priſon, que nous faiſons maintenant d’auoir des cors d’vne matiere auſſy peu corruptible que les diamans, ou des ailes pour voler comme les oiſeaux. Mais i’auouë qu’il eſt beſoin d’vn long exercice, & d’vne meditation ſouuent reïterée, pour s’accouſtumer a regarder de ce biais toutes les choſes ; et ie croy que c’eſt principalement en cecy que conſiſtoit le ſecret de ces Philoſophes, qui ont pû autrefois ſe ſouſtraire de l’empire de la Fortune, & malgré les douleurs & la pauureté, diſputer de la felicité auec leurs Dieux. Car s’occupant ſans ceſſe a conſiderer les bornes qui leur eſtoient preſcrites par la Nature, ils ſe perſuadoient ſi parfaitement que rien n’eſtoit en leur pouuoir que leurs penſées, que cela ſeul eſtoit ſuffiſant pour les empeſcher d’auoir aucune affection pour d’autres choſes ; & ils diſpoſoient d’elles ſi abſolument, qu’ils auoient en cela quelque raiſon de s’eſtimer plus riches, & plus puiſſans, & plus libres, & plus hureux, qu’aucun des autres hommes, qui n’ayant point cete Philoſophie, tant fauo-