Page:Descartes - Œuvres, éd. Adam et Tannery, VI.djvu/77

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les plus foibles & moins agitées en doiuent eſtre détournées par les plus fortes, qui par ce moyen s’y vont rendre ſeules.

I’auois expliqué aſſez particulierement toutes ces choſes, dans le traité que i’auois eu cy deuant deſſein de publier. Et enſuite i’y auois monſtré quelle doit eſtre la fabrique des nerfs & des muſcles du cors humain, pour faire que les eſprits animaux, eſtant dedans, ayent la force de mouuoir ſes membres : ainſi qu’on voit que les teſtes, vn peu aprés eſtre coupées, ſe remuent encore, & mordent la terre, nonobſtant qu’elles ne ſoient plus animées ; quels changemens ſe doiuent faire dans le cerueau, pour cauſer la veille, & le ſommeil, & les ſonges ; comment la lumiere, les ſons, les odeurs, les gouts, la chaleur, & toutes les autres qualitez des obiets exterieurs y peuuent imprimer diuerſes idées, par l’entremiſe des ſens ; comment la faim, la ſoif, & les autres paſſions interieures, y peuuent auſſy enuoyer les leurs ; ce qui doit y eſtre pris pour le ſens commun, où ces idées ſont receuës ; pour la memoire, qui les conſerue ; & pour la fantaiſie, qui les peut diuerſement changer, & en compoſer de nouuelles, & par meſme moyen, diſtribuant les eſpris animaux dans les muſcles, faire mouuoir les membres de ce cors, en autant de diuerſes façons, & autant a propos des obiets qui ſe preſentent a ſes ſens, & des paſſions interieures qui ſont en luy, que les noſtres ſe puiſſent mouuoir, ſans que la volonté les conduiſe. Ce qui ne ſemblera nullement eſtrange a ceux qui, ſçachant combien de diuers automates, ou machines mouuantes, l’induſtrie des hommes peut